Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/107

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Voilà donc une verité dont nous partons tous deux, à l’appui de laquelle vous sentez combien l’optimisme est facile à défendre et la providence à justifier ; et ce n’est pas à vous qu’il faut répéter les raisonnements rebattus, mais solides, qui ont été faits si souvent à ce sujet. À l’égard des philosophes qui ne conviennent pas du principe, il ne faut point disputer avec eux sur ces matières, parce que ce qui n’est qu’une preuve de sentiment pour nous ne peut devenir pour eux une démonstration, et que ce n’est pas un discours raisonnable de dire à un homme : Vous devez croire ceci parce que je le crois. Eux, de leur côté, ne doivent point non plus disputer avec nous sur ces mêmes matières, parce qu’elles ne sont que des corollaires de la proposition principale qu’un adversaire honnête ose à peine leur opposer, et qu’à leur tour ils auraient tort d’exiger qu’on leur prouvât le corollaire indépendamment de la proposition qui lui sert de base. Je pense qu’ils ne le doivent pas encore par une autre raison : c’est qu’il y a de l’inhumanité à troubler les âmes paisibles et à désoler les hommes à pure perte, quand ce qu’on veut leur apprendre n’est ni certain ni utile. Je pense, en un mot, qu’à votre exemple on ne saurait attaquer trop fortement la superstition, qui trouble la société, ni trop respecter la religion, qui la soutient.

Mais je suis indigné comme vous que la foi de chacun ne soit pas dans la plus parfaite liberté, et que l’homme ose contrôler l’intérieur des consciences où il ne saurait pénétrer, comme s’il dépendait de nous de croire ou de ne pas croire dans des matières où la démonstration n’a point lieu, et qu’on pût jamais asservir la raison à l’autorité. Les rois de ce monde ont-ils donc quelque inspection dans l’autre, et sont-ils en droit de tourmenter leurs sujets ici-bas pour les forcer d’aller en paradis ? Non. Tout gouvernement humain se borne par sa nature aux devoirs civils, et quoi qu’en ait pu dire le sophiste Hobbes, quand un homme sert bien l’État, il ne doit compte à personne de la manière dont il sert Dieu.

J’ignore si cet être juste ne punira point un jour toute tyrannie exercée en son nom ; je suis bien sûr, au moins, qu’il ne la partagera pas, et ne refusera le bonheur éternel à nul incrédule vertueux et de bonne foi. Puis-je, sans offenser sa bonté et même sa justice, douter qu’un cœur droit ne rachète une erreur involontaire, et que des mœurs irréprochables ne vaillent bien mille cultes bizarres prescrits par les hommes et rejetés par la raison ? Je dirai plus : si je pouvais, à mon choix, acheter les œuvres aux dépens de ma foi, et compenser à force de vertu mon incrédulité supposée, je ne balancerais pas un instant, et j’aimerais mieux pouvoir dire à Dieu : « J’ai fait, sans songer à toi, le bien qui t’est agréable, et mon cœur suivait ta volonté sans la connaître, » que de lui dire, comme il faudra que je fasse un jour : « Hélas ! je t’aimais, et n’ai cessé de t’offenser ; je t’ai connu, et n’ai rien fait pour te plaire. »

Il y a, je l’avoue, une sorte de profession de foi que les lois peuvent imposer ; mais, hors les principes de la morale et du droit naturel, elle doit être purement négative, parce qu’il peut exister des religions qui attaquent les fondements de la société, et qu’il faut commencer par exterminer ces religions pour assurer la paix de l’État : de ces dogmes à proscrire, l’into-