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cesseurs lui eussent ressemblé, il n’y eût point eu de guerres de religion dans le monde.

Qui aurait dit qu’un marquis de Brandebourg aurait renvoyé d’un seul coup un roi de Pologne sur la Vistule, et fait douze mille mendiants sur le Rhône[1] ?


3256. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 9 novembre.

Eh bien ! madame, est-il vrai que ces Russes, ces Tartares marchent ? Pourquoi donc les Francs, les Gaulois, ne marchent-ils pas ? Est-il vrai que le primat de Pologne a dit à la diète que son roi était empêché, et que la diète s’est séparée sur-le-champ ? Il faut avoir la tête tournée pour vouloir régner sur ces gens-là. On bafoue leur roi, on pille sa maison, on le fait prisonnier, on lui donne à manger par une chatière, et les Polonais vont boire chacun chez soi. M. le comte d’Estrées vous a-t-il donné quelques espérances de redresser tant de torts ? Mon Dieu ! que je m’intéresse à cette bagarre ! Votre cœur et le mien ont pris parti. Je suis fâché d’être si loin du théâtre où cette grande tragédie se joue. On sèche en attendant des nouvelles. M. de Broglie et M. de Valori[2] reviennent-ils ? Le roi de Pologne est-il en sûreté ? a-t-il un lit ? est-il à Kœnigstein ? est-il à Varsovie ? Le comte de Brühl s’est-il sauvé ? M. de Brown a-t-il livré un nouveau combat ? Tâchez donc, madame, d’avoir des nouvelles d’Allemagne. Daignez m’en faire part. Il me paraît que Salomo-Mandrin[3] est le maître en Saxe comme à Berlin, L’Angleterre fera des efforts pour lui. Le nord de l’Allemagne lui fournira des soldats. Il y aura deux cent mille hommes de part et d’autre. Cette belle affaire n’est pas prête à finir.

Que dites-vous de Salomon, qui, étant à Dresde, dans le palais du roi de Pologne, se montrait à la fenêtre, ayant à ses côtés deux gros ministres luthériens ? Le peuple criait : Vivat ! Ah ! le saint roi !

On m’a promis une singulière pièce[4] ; mais oserais-je vous l’envoyer ? On craint son ombre en pareil cas.

  1. La guerre de Saxe nuisait beaucoup à la fabrique de Lyon.
  2. Le marquis de Valori, auquel est adressée la lettre 1717.
  3. Allusion aux chansons qui coururent les rues de Versailles et de Paris à cette époque, et dans lesquelles Frédéric était appelé Mandrin.
  4. C’est la pièce de vers qui commence ainsi (Voyez tome X.} :

    Ô Salomon du Nord, etc.