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demande le précis d’une grande érudition. Je suis sans livres, je suis malade, je vous sers comme je peux. Jetez au feu ce qui vous déplaira.

Pendant la guerre des parlements et des évêques[1], les gens raisonnables ont beau jeu, et vous aurez le loisir de farcir l’Encyclopédie de vérités qu’on n’eût pas osé dire il y a vingt ans. Quand les pédants se battent, les philosophes triomphent.

S’il est temps encore de souscrire, j’enverrai à Briasson l’argent qu’il faut ; je ne veux pas de son livre[2] autrement. Mme  Denis vous fait les plus tendres compliments ; je vous en accable. Je suis fâché que le philosophe Duclos ait imaginé que j’ai autrefois donné une préférence à un prêtre sur lui ; j’en étais bien loin, et il s’est bien trompé. Adieu ; achevez le plus grand ouvrage du monde.


3260. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[3].
Aux Délices, près de Genève, 14 novembre.

Madame, j’eus hier l’honneur d’écrire à Votre Altesse sérénissime, par un Anglais nommé M.  Keat, qui se propose de voir, en Allemagne, ce qu’il y a de plus digne d’un être pensant, et par conséquent de vous faire sa cour. Mais ne sachant pas trop quand il partira, je ne veux pas laisser arriver l’année 1757 sans renouveler à Votre Altesse sérénissime, à monseigneur le duc et à toute votre auguste maison, les respectueux sentiments qui m’attachent pour jamais à elle. Je me flatte que les princes vos enfants vous donneront toujours de plus en plus, madame, des sujets de consolation et de joie. Puisse la grande maîtresse des cœurs jouir d’une santé qui tienne de l’égalité de son âme ! La vôtre, madame, aura peut-être de quoi s’exercer au milieu des orages qui semblent prêts à fondre de tous côtés dans le voisinage de ses États. Je me flatte qu’elle n’aura à faire usage que de son humanité et de sa compassion pour ses voisins, et que ses propres États seront à l’abri. C’est tout ce que peut dire un solitaire qui voit de loin toutes ces tempêtes. La Saxe paraît bien malheureuse, mais aussi la patrie que Votre Altesse sérénissime gouverne paraît jusqu’à présent bien fortunée ; c’est à quoi je m’intéresse le plus. Mais de quel prix peuvent être à vos yeux les sentiments d’un ermite inutile ?

  1. Voyez tome XV, page 376 ; et XVI, 85.
  2. L’Encyclopédie.
  3. Éditeurs, Bavoux et François.