L’édition de l’histoire universelle ne se débitera qu’après. J’ignore par quel moyen vous comptez vous procurer un exemplaire de cette nouvelle édition des Œuvres. Vous ne ferez pas mal de tâcher de l’avoir : vous y trouverez une foule de pièces nouvelles. Mais ce qui vous surprendra (et que ceci soit dit entre nous), c’est que vous y trouverez une pièce qu’on vous fit lire il y a quelque temps : c’est un poëme sur la Religion naturelle. Le titre fait sentir que cet ouvrage n’est pas d’un chrétien, et je crois que l’auteur a mieux rempli son but que votre abbé n’a rempli le sien sur l’immatérialité de l’âme. Personne ne sait que cet ouvrage sera inséré dans cette nouvelle édition ; les Cramer, qui ont débité un petit avis sur cette édition, n’en parlent pas, et je vous prie en grâce de n’en rien dire à personne, afin de ne pas inspirer de curiosité aux fanatiques et aux prêtres, toujours prêts à courir sur ceux qui ont la réputation de vouloir leur cogner sur les doigts. Est-il possible que notre philosophe ne sente point le tort que cet ouvrage peut lui faire ? On lui a toujours reproché d’être déiste ; il a voulu toujours soutenir que non, pour éviter les tracasseries et les persécutions : actuellement il a l’aveuglement d’imprimer qu’il l’est, et de croire que cet ouvrage ne lui fera qu’honneur. Cette pièce, précédée d’une autre, fait la clôture de l’édition, sous le titre de Supplément aux Mélanges de litterature, etc. Cette autre pièce placée sous ce titre est encore un poëme sur la Destruction de Lisbonne, ou Examen de cet axiome : tout est bien. Vous savez que c’est Pope qui a dit que tout ce qui est est bien. Les tremblements de terre qui ont renversé Lisbonne ont fait dire à notre poëte que tout n’est pas bien ; il fit un poëme sur cet événement terrible, et lorsque ce poëme n’était encore qu’une ébauche, il eut la bêtise de le lire à quelques Suisses. Ces Suisses, s’imaginant que le poëte combattait l’axiome de Pope, crurent qu’il n’admettait que la proposition contraire, savoir que dans ce monde tout est mal. Cette bévue de quelques Suisses n’a pas laissé de lui faire quelque petite tracasserie. Le poëte se plaint, à la vérité, que nous habitions un globe qui paraît miné, et que nous soyons exposés à des événements si affreux ; mais il se résigne à la volonté de Dieu. Comme je suis convaincu du secret de votre part, je vais vous transcrire le commencement de ce poëme.
Ô malheureux mortels ! Ô terre déplorable !
Ô de tous les fléaux assemblage effroyable !
D’inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés, qui criez : Tout est bien,
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants, l’un sur l’autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;
Cent mille infortunés que la terre dévore.
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits terminent sans secours
Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours.
Au cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous, etc.