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six mois de l’année, et que me voilà dans mon semestre, je n’ai pu choisir de meilleurs garants de mon tendre et respectueux attachement pour vous. Je suis extrêmement attaché à toute leur famille, et je ne me conduis pas maladroitement avec vous en prenant, pour vous faire ma cour, les plus sages et les plus braves officiers du monde, qui ambitionnent, autant que moi, de vous plaire.

Recevez, avec votre bonté ordinaire, le profond et tendre respect du Suisse V.


3413. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL
Aux Délices, 12 septembre.

Mon divin ange, moi, qui n’ai point pris les eaux de Plombières, je suis bien malade, et je suis puni de n’avoir point été faire ma cour à Mme  d’Argental. Je voudrais qu’on eût brûlé, avec la fausse Jeanne, le détestable auteur de cette infâme rapsodie. Elle est incontestablement de La Beaumelle ; mais s’il n’est pas ars[1], il est en lieu[2] où il doit se repentir.

On dit que c’est l’abbé de Bernis qui a ménagé le rétablissement du[3] parlement ; si cela est, il joue un bien beau rôle dans l’Europe et en France. Je ne lui ai jamais écrit depuis mon absence ; j’ai toujours craint que mes lettres ne parussent intéressées, et je me suis contenté d’applaudir à sa fortune, sans l’en féliciter. Qui eût cru, quand le roi de Prusse faisait autrefois des vers contre lui, que ce serait lui qu’il aurait un jour le plus à craindre[4] ?

Les affaires de ce roi, mon ancien disciple et mon ancien persécuteur, vont de mal en pis. Je ne sais si je vous ai fait part de la lettre[5] qu’il m’a écrite il y a environ trois semaines : J’ai appris, dit-il, que vous vous étiez intéressé à mes succès et à mes malheurs ; il ne me reste qu’à vendre cher ma vie, etc., etc. Sa sœur, la margrave de Baireuth, m’en écrit une beaucoup plus lamentable.


Allons, ferme, mon cœur, point de faiblesse humaine[6].

  1. Vieux mot ; participe du verbe arder, ou ardre, qui signifie brûler.
  2. La Beaumelle, mis à la Bastille au mois d’août 1756, en était sorti le 1er septembre 1757 pour se rendre en Languedoc, lieu de son exil.
  3. Ce rétablissement venait d’avoir lieu le 1er septembre.
  4. Dans son Épitre au comte de Gotter, Frédéric avait dit, vers 398 :

    Et je laisse à Bernis sa stérile abondance.

  5. Le billet cité dans la lettre 3397.
  6. Molière, Tartuffe, acte IV, scène iii.