Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/315

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Le prince Henri, qui commandait à la droite du roi, a eu la plus grande part à cette victoire, où il a reçu une légère blessure. La perte des Français est très-grande. Outre cinq mille prisonniers, et plus de trois cents officiers pris dans cette bataille, ils ont perdu presque toute l’artillerie. Au reste, je vous mande ce que j’ai appris de la bouche des fuyards, et de quelques rapports d’officiers prussiens. Le roi n’a eu que le temps de me notifier sa victoire, et n’a pu m’envoyer la relation. Le roi distingue et soigne les officiers français comme il pourrait faire les siens propres. Il a fait panser les blessés en sa présence, et a donné les ordres les plus précis pour qu’on ne leur laisse manquer de rien. Après avoir poursuivi l’ennemi jusqu’à Spielberg, il est retourné à Leipsick, d’où il est reparti, le 10, pour marcher à Torgau. Le général Marschall, des Autrichiens, faisant mine d’entrer dans le Brandebourg avec treize ou quatorze mille hommes, à l’approche des Prussiens ce corps a rétrogradé à Bautzen en Lusace. Le roi le poursuit pour l’attaquer, s’il le peut. Son dessein est d’entrer ensuite en Silésie. Malheureusement nous avons appris aujourd’hui la reddition de Schweidnitz qui s’est rendu le 13, après avoir soutenu l’assaut : ce qui me rejette dans les plus violentes inquiétudes. Pour répondre aux articles de vos deux lettres je vous dirai que la surdité devient un mal épidémique en France. Si j’osais, j’ajouterais qu’on y joint l’aveuglement. Je pourrais vous dire bien des choses de bouche, que je ne puis confier à la plume, par où vous seriez convaincu des bonnes intentions qu’on a eues. On les a encore. J’écrirai au premier jour au cardinal[1]. Assurez-le, je vous prie, de toute mon estime, et dites-lui que je persiste toujours dans mon système de Lyon, mais que je souhaiterais beaucoup que bien des gens eussent sa façon de penser ; qu’en ce cas nous serions bientôt d’accord. Je suis bien folle de me mêler de politique. Mon esprit n’est plus bon qu’à être mis à l’hôpital. Vous me faites faire des efforts tant d’esprit que de corps pour écrire une si longue lettre. Je ne puis vous procurer que le plaisir des relations. Il faut bien que j’en profite, ne pouvant vous en procurer de plus grands, et tels que ma reconnaissance les désire. Bien des compliments à Mme  Denis, et comptez que vous n’avez pas de meilleure amie que


Wilhelmine.

3460. — À M.  TRONCHIN, DE LYON[2].
Délices, 23 novembre.

Vous aurez reçu les relations de vos Genevois, par lesquelles il est bien constaté qu’on avait conduit l’armée dans un coupe-gorge, entre deux plateaux garnis d’artillerie. Il y a, dit-on, dans l’histoire un exemple de cette faute. Les choses ont bien changé ; vous ne devez plus vous attendre à cette belle lettre

  1. De Tencin.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.