Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3498. — DE MADAME D’ÉPINAI À M.  GRIMM[1].

… Je vais passer deux ou trois jours chez Voltaire avec M.  Tronchin. En vérité, j’apprends tous les jours des traits nouveaux de Tronchin, qui m’inspirent pour lui un respect et une considération inconcevables : sa charité, son désintéressement, sa tendresse et ses soins pour sa femme, sont sans exemple ; et je puis vous répondre, à présent que je la connais, que c’est bien la plus insupportable et la plus maussade créature qui existe. Si jamais je découvre un défaut à cet homme… j’en frémis d’avance, il faudra peut-être le mépriser, car il doit être épouvantable. Bonsoir, mon ami, je finirai ma lettre chez Voltaire, n’ayant pas le temps aujourd’hui…


Deux jours de distance.

On n’a le temps de rien faire avec Voltaire, je n’ai que celui de fermer ma lettre, mon ami ; j’ai passé ma journée seule avec lui et sa nièce ; et il est en vérité las de me faire des contes. Tandis que je lui ai demandé la permission d’écrire quatre lignes, afin que vous ne soyez pas inquiet de ma santé, qui est bonne, il m’a témoigné le désir de rester pour voir ce que disent mes deux grands yeux noirs quand j’écris. Il est assis devant moi, il tisonne, il rit, il dit que je me moque de lui et que j’ai l’air de faire sa critique. Je lui réponds que j’écris tout ce qu’il dit, parce que cela vaut bien tout ce que je pense… Je retourne ce soir à la ville, où je répondrai à vos lettres… Il n’y a pas moyen de rien faire ici. Bonjour. Souvenez-vous de moi si M.  Diderot fait quelque chose qui puisse m’être envoyé. Ses ouvrages me font un si grand plaisir que je suis digne de cette confiance.


3499. — À M.  BERTRAND.
À Lausanne, 27 décembre.

Je vous souhaite une bonne et tranquille année, mon cher philosophe, car rien de bon sans tranquillité. J’épargne une lettre inutile à monsieur le banneret et à madame[2] ; mais je m’adresse à vous pour leur présenter mes tendres respects, et mes vœux bien sincères pour leur conservation et pour leur félicité, dont ils sont si dignes. Ma nièce se joint à moi et partage tout mon attachement. Que nous serions flattés s’ils pouvaient honorer de leur présence ce séjour tranquille, cette petite retraite de Lausanne que nous avons ornée dans l’espérance de les y recevoir un jour avec vous ! Iste angulus mihi semper ride[3]. Je ne crois pas

  1. Mémoires et Correspondances de Mme  d’Épinai. Paris, Charpentier, 1865. 2 vol. in-18.
  2. De Freudenreich.
  3. Horace, livre II, ode vi, vers 13-14.