Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/357

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vous êtes ignorants, durs, pillards et sanguinaires. Sachez qu’il n’y a rien à gagner pour vous si vous prenez ma lettre en chemin, et que ce n’est pas là un hutin qui vous convienne. Vous me feriez une extrême peine, dont il ne vous reviendrait rien du tout. D’ailleurs il ne doit être rien de commun entre Mme la duchesse de Gotha et vous, vilains pandours. Elle est le modèle parfait de la politesse, et vous ne savez pas vivre ; elle a beaucoup d’esprit, et vous n’avez jamais rien lu, vous n’avez pas le moindre goût ; vous cherchez à rendre ce monde-ci le plus abominable des mondes possibles, et elle voudrait qu’il fût le meilleur. Il le serait sans doute, si elle en était la maîtresse.

Il est vrai qu’elle est un peu embarrassée avec le système de Leibnitz ; elle ne sait comment faire, avec tant de mal physique et moral, pour vous prouver l’optimisme ; mais c’est vous qui en êtes cause, maudits housards ; c’est par vous que le mal est dans le monde ; vous êtes les enfants du mauvais principe.

Je vous conjure, au nom du bon principe, de ne jamais entrer dans ses États ; j’espère encore y aller un jour, et je ne veux point y trouver de vos traces.

Madame, si ces messieurs sont un peu honnêtes. Votre Altesse sérénissime recevra sans doute mes profonds respects et mon très-tendre attachement en 1758. Monseigneur le duc, toute votre auguste famille, daigneront se souvenir de moi. La grande maîtresse des cœurs ne m’oubliera pas. N’a-t-elle pas pris soin de quelque pauvre Français blessé à Rosbach ? ne lui a-t-elle pas donné des bouillons ?

Je veux finir, madame, par faire réparation à messieurs les housards. Je me flatte qu’ils n’ont point ravagé vos États, que Votre Altesse sérénissime est en paix au milieu de la guerre, et que la sérénité de sa belle âme se répand sur son pays. Je ne suis qu’un pauvre Suisse, mais il n’y a personne, dans les treize cantons, qui désire plus d’être à vos pieds que moi. Qu’on fasse la paix, et je fais un pèlerinage dans votre temple, qui est celui des Grâces. Je réitère à Votre Altesse sérénissime mon respect et mes vœux.


Le Suisse V.

3507. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
lettre des pandours au frère suisse.

Pourquoi nous nommez-vous vilains ? Nous pillons, nous saccageons, et nous sommes larrons privilégiés, cela est vrai. Sommes-nous en cela plus