Je ne conçois pas comment tous ceux qui travaillent ne s’assemblent pas, et ne déclarent pas qu’ils renonceront à tout si on ne les soutient ; mais, après la promesse d’être soutenus, il faut qu’ils travaillent. Faites un corps, messieurs ; un corps est toujours respectable. Je sais bien que ni Cicéron ni Locke n’ont été obligés de soumettre leurs ouvrages aux commis de la douane des pensées ; je sais qu’il est honteux qu’une société d’esprits supérieurs, qui travaillent pour le bien du genre humain, soit assujettie à des censeurs indignes de vous lire ; mais ne pouvez-vous pas choisir quelques réviseurs raisonnables ? M. de Malesherbes ne peut-il pas vous aider dans ce choix ? Ameutez-vous, et vous serez les maîtres. Je vous parle en républicain ; mais aussi il s’agit de la république des lettres. Ô la pauvre république !
Venons à l’article Genève. Le ministre me mande qu’on vous doit des remerciements ; je crois vous l’avoir déjà dit. D’autres se fâchent, d’autres font semblant de se fâcher ; quelques-uns excitent le peuple ; quelques autres veulent exciter les magistrats. Le théologien Vernet, qui a imprimé que la révélation est utile[1], est à la tête de la commission établie pour voir ce qu’on doit faire ; le grand médecin Tronchin est secrétaire de cette commission, et vous savez combien il est prudent. Vous n’ignorez pas combien on a crié sur l’âme atroce de Calvin, mot qui n’était pas dans ma lettre[2] à Thieriot, imprimée dans le Mercure galant, et très-fautivement imprimée. J’ai une maison dans le voisinage qui me coûte plus de cent mille francs aujourd’hui ; on n’a point démoli ma maison. Je me suis contenté de dire à mes amis que l’âme atroce avait été en effet dans Calvin, et n’était point dans ma lettre. Les magistrats et les prêtres sont venus dîner chez moi comme à l’ordinaire. Continuez à me laisser avec Tronchin le soin de la plaisante affaire des sociniens de Genève ; vous les reconnaissez pour chrétiens, comme M. Chicaneau reconnaît Mme de Pimbesche
Pour femme très-sensée et de bon jugement[3].
Il suffit. Je suis seulement très-fâché que deux ou trois lignes vous empêchent de revenir chez nous. Je vous embrasse tendrement.