cacouac pour le moins que nous, mais qui a cru pouvoir faire sa cour au redoutable protecteur des cacouacs par un sacrifice in anima vili[1]. Jugez à présent, mon cher et illustre maître, s’il est possible d’achever dans cette terre de perdition le monument que nous avions commencé d’élever à la gloire des lettres. Diderot se borne à dire qu’il ne peut pas continuer sans moi. J’ignore quel parti il prendra en dernière instance ; mais je sais que, s’il continue, il se prépare des chagrins de toute espèce : Dieu veuille l’en préserver ! mais c’est son affaire. Il me paraît d’ailleurs impossible, d’un côté, que cet ouvrage se continue sur le même pied qu’auparavant ; de l’autre, qu’il puisse se continuer sur un autre pied ; et il vaut mieux le laisser imparfait que d’en faire une espèce de satyre à tête d’homme et à pieds de bête.
Je suis plus fâché que vous des déclamations et des trivialités qu’on a insérées dans l’Encyclopédie mais croyez que je n’en ai pas été le maître. Comme je n’ai proprement de juridiction que sur la partie mathématique, la voie de représentation est la seule dont je puisse user sur le reste ; d’ailleurs M. Diderot a été souvent dans l’impossibilité de faire autrement. Tel auteur qui nous est utile par un grand nombre de bons articles exige souvent, pour prix de ce qu’il nous donne de bon, qu’on admette aussi ce qu’il fournit de mauvais. Nous nous serions trouvés tout seuls, si nous avions voulu tyranniser nos collègues. C’est un petit ou un grand mal, si vous voulez, que l’on a été forcé d’endurer pour un plus grand bien.
Vous ne me parlez plus de votre disciple ; en avez-vous des nouvelles ? le voilà plus couvert de gloire que jamais. J’oubliais de vous dire que les Cacouacs sont de l’auteur[2] d’une mauvaise brochure intitulée l’Observateur hollandais, qui, n’osant plus tourner le roi de Prusse en ridicule, depuis ses victoires, s’est jeté sur l’Encyclopédie. Envoyez-moi, je vous prie, par M. de Malesherbes, ou autrement, la Profession de foi de vos ministres. J’ai proposé à M. de Cubières[3] de leur en faire signer une fort courte : « Je reconnais que Jésus-Christ est Dieu, égal et consubstantiel à son Père. » « Ils ne signeront pas cela, me dit M. de Cubières. — Si cela est, lui répondis-je, j’ai eu raison : car vous savez que le consubstantiel est le grand mot, l’homoousios du concile de Nicée, à la place duquel les ariens voulaient l’homoiousios[4]. Ils étaient hérétiques pour ne s’écarter de la foi que d’un iota[5]. »
Adieu, mon cher et illustre maître ; je vous embrasse de tout mon cœur.