Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/52

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Je présume, madame, que vous lirez un bien meilleur parti encore de votre situation que moi de la mienne. Vous êtes faite pour la société ; la vôtre doit être recherchée par tous ceux qui sont dignes de vivre avec vous. La privation de la vue vous rend le commerce de vos amis plus nécessaire, et par conséquent plus agréable : car les plaisirs ne naissent que des besoins. Il vous fallait absolument Paris, vous auriez péri de chagrin à la campagne ; et moi, je ne peux plus vivre que dans la retraite où je suis. Vos maux sont différents, et il nous faut de différents remèdes.

Il est vrai qu’il est triste d’achever sa vie loin de vous, et c’est une des choses qui me font conclure que tout n’est pas bien. Tout doit être bien pour M.  le président Hénault. S’il y a quelqu’un pour qui le bon tonneau soit ouvert, c’est lui. M.  le maréchal de Richelieu en boira sa bonne part, s’il prend les forts de Port-Mahon. Cette île de Minorque s’appelait autrefois l’île de Vénus ; il est juste que ce soit à M.  de Richelieu qu’elle se rende.

Adieu, madame ; soyez sûre que le bord du lac Léman n’est pas l’endroit de la terre où vous êtes le moins chérie et respectée.


3169. — À M.  THIERIOT[1].
Aux Délices, 8 mai.

Votre lettre du 27 avril, mon ancien ami, a croisé la mienne. Je ne sais si Lambert a imprimé les sermons en question, mais j’ai toujours sur les remarques les mêmes scrupules. J’en ai aussi beaucoup sur les deux vers qu’on a substitués. Les chers électeurs est le mot propre. C’est le terme dont se servent toujours les empereurs en leur écrivant ; et on est trop heureux quand le mot propre devient une plaisanterie. Avec ses électeurs est d’une platitude extrême. Le Père Berruyer peut trouver fort bon qu’on le brûle ; mais je vous demande en grâce qu’on ne me mutile point.

Je sais bien que de la grâce ardent à se toucher[2] est une expression un peu hardie ; mais elle est plus supportable que le vers qu’on a mis à la place[3], par la raison que mon vers dit quelque chose, et que l’autre ne dit rien. Je vous prie d’avoir égard à toutes mes requêtes, si vous faites imprimer ma rapsodie.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Vers 21 de la troisième partie de la Loi naturelle.
  3. « Tandis qu’à ce bourreau loin d’oser l’arracher. »