Je vous dirai la vérité, monseigneur, quand je vous dirai qu’il ne tient qu’à moi d’aller dans un pays[1] où j’ai fait autrefois ma cour à Votre Altesse, et que ce n’est pas dans ce pays-là que je voudrais lui renouveler mes hommages.
Je crois que M. le prince de Beauvau a souvent le bonheur de vous voir. C’est après vous, monseigneur, celui dont je suis le plus fâché d’être éloigné. Votre Altesse sérénissime sait à quel point et avec quel tendre respect je lui serai toujours dévoué.
J’ai quelque orgueil, mon héros, de voir une partie de ma destinée unie à la vôtre. Il est assez plaisant que je sois, après vous, l’homme le plus réellement intéressé à la prise de Port-Mahon. Je me suis avisé de faire le prophète. Vous accomplirez sans doute ma prophétie ; elle est très-claire ; il y en a eu jusqu’ici peu dans ce goût-là. Votre panégyriste est devenu votre astrologue. Par quel hasard faut-il que ma prédiction coure Paris, avant que le maudit rocher de M. Blakeney se soit rendu ? Le même jour que j’ai reçu la lettre dont vous honorez votre petit prophète, j’ai appris que mon petit compliment[2] était répandu dans Paris. C’est Thieriot-la-Trompette qui me dit l’avoir vu et tenu, et même l’avoir désapprouvé. Il y a longtemps que je vous avertis que vous aviez probablement quelque secrétaire bel esprit qui rendait publiques les galanteries que je vous écrivais quelquefois. Je suis bien sûr que ce n’est pas moi qui ai divulgué ma prophétie. Je ne l’ai certainement envoyée à personne qu’à mon héros ; c’était un secret entre le ciel et lui. Thieriot fait quelquefois sa cour à Mme la duchesse d’Aiguillon : si c’est chez elle qu’il a vu ma lettre, peut-être Mme d’Aiguillon n’en aura pas laissé prendre de copie ; et, en ce cas, il n’y a que quelques lambeaux de publiés.
Voyez, monseigneur, comment notre secret a pu transpirer. Je vous envoyai cette saillie par M. le duc de Villars, et je ne lui en fis pas confidence. Nul autre que vous au monde n’a vu la prédiction. Si vous l’avez fait lire à quelque profanateur de ces