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nécessaire. Il eût été plus doux pour moi de cultiver des fleurs auprès de Plaisance[1] qu’auprès de Genève ; mais j’ai pris ce que j’ai trouvé. J’aurais eu bien difficilement un séjour plus agréable et plus convenable. Le fameux docteur Tronchin vient souvent chez moi. J’ai presque toute ma famille dans ma maison. La meilleure compagnie, composée de gens sages et éclairés, s’y rend presque tous les jours, sans jamais me gêner. Il y vient beaucoup d’Anglais, et je peux vous dire qu’ils font plus de cas de votre gouvernement que du leur.

Vous souffrez sans doute, monsieur, avec plaisir ce compte que je vous rends de ma situation. Je vous dois, en grande partie, la douceur de ma fortune ; je ne l’oublierai point. Je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie.

Je vous prie, quand vous verrez monsieur votre frère[2], de vouloir bien l’assurer de mes sentiments, et de compter sur ceux avec lesquels j’ai l’honneur d’être si véritablement, etc.


3210. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Lyon, ce 28 juillet.

Puisque la montagne ne veut pas venir à Mahomet, il faudra donc, mon cher et illustre confrère, que Mahomet aille trouver la montagne. Oui, j’aurai dans quinze jours le plaisir de vous embrasser et de vous renouveler l’assurance de tous les sentiments d’admiration que vous m’inspirez. Je compte être à Genève au plus tard le 10 du mois prochain, et y passer le reste du mois. Je vous y porterai les vœux de tous vos compatriotes, et leur regret de vous voir si éloigné d’eux. Je m’arrête ici quelques jours pour y voir un très-petit nombre d’amis qui veulent bien me montrer ce qu’il y a de remarquable dans la ville, et surtout ce qu’il peut être utile de connaître pour le bien de notre Encyclopédie. Je me refuse à toute autre société, parce que je pense avec Montaigne[3] « que d’aller de maison en maison faire montre de son caquet, est un métier très-messéant à un homme d’honneur ». Nous avons ici une comédie détestable et d’excellente musique italienne médiocrement exécutée. Le bruit a couru ici que vous deviez venir entendre Mlle  Clairon, dans la nouvelle salle, et voir jouer ce rôle d’Idamé qui a fait tourner la tête à tout Paris. Je craignais fort que vous ne vinssiez à Lyon pendant que j’irais à Genève, et que nous ne jouassions aux barres ; mais on me rassure en m’apprenant que vous restez à Genève. La nouvelle salle est très-belle et digne de Soufflot, qui l’a

  1. Campagne de Pâris-Duverney.
  2. Pâris-Montmartel.
  3. Livre III, chapitre viii.