Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/120

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Sa Majesté chinoise. Il n’y a point, grâce à vos bontés, de potentat en Europe qui prenne de meilleur thé que moi, et qui ait de plus belles doublures d’habits.

Votre dernier envoi d’instructions met le comble à vos magnifiques présents ; elles vont jusqu’à l’année 1721, et je me flatte, monsieur, que vous m’honorerez bientôt de la suite de vos mémoires instructifs. Je ne négligerai rien pour tâcher de répondre à vos idées et à vos soins. J’espère avoir l’honneur de vous envoyer, l’hiver prochain, tout l’ouvrage. Je vous prie de trouver bon que je me livre à mon goût et à ma manière de penser ; chaque peintre doit suivre son genre et employer les couleurs qui lui réussissent le mieux. J’écris dans ma langue ; la plupart des noms doivent être à la française. Nous ne disons point Alexandros, mais Alexandre ; nous prononçons Auguste, et non pas Augustus ; Cicéron, au lieu de Cicero ; Athènes, au lieu d’Athenoi, etc. Les noms propres, chargés de doubles w et de consonnes, seront au bas des pages.

Je suis bien sûr de me rencontrer avec un homme plein de goût, tel que vous êtes, en évitant toute affectation, et surtout l’affectation de faire un panégyrique. Il faut laisser aux gazetiers et aux sots le soin de dire : Notre auguste monarque, Sa gracieuse Majesté, le roi de Prusse, est en haute personne à son armée ; Sa sacrée Majesté impériale a pris médecine, et son auguste conseil est venu la complimenter sur le rétablissement de sa précieuse santé. À parler sérieusement, tout ce qui tend à nous faire trop valoir nous met toujours au-dessous de ce que nous sommes.

Vous ne voulez pas non plus qu’on démente des faits avérés de toute l’Europe. En déguisant une vérité publique on affaiblit toutes les autres, et la plus mauvaise de toutes les politiques est de mentir. Celui qui, en écrivant l’histoire d’Alexandre, nierait ou excuserait le meurtre de Clitus s’attirerait le mépris et l’indignation. Si l’expérience m’a pu donner quelque connaissance dans l’art d’écrire, je l’emploierai à augmenter, si je le puis, le respect qu’on doit à Pierre le Grand et a votre empire, sans flatter personne.

Je pense qu’en m’attachant à ces principes, je ne suivrai que les vôtres. Il ne me restera d’autre regret que celui de n’avoir pu voir l’empire dont j’écris l’histoire, et la personne qui me procure cet honneur, et dont je ne serai que le copiste.

J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.