Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/163

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M. Tronchin sans que je m’en mêle. Vous auriez été payé sur un simple ordre de votre part. Je vous demande pourtant pardon de la petite inadvertance. Vous n’avez qu’à faire mettre l’adresse de M. Robert Tronchin sur le billet de change, et toute loi sera accomplie. Il faudra, je crois, vivre dorénavant de ses terres. Cette copie de la bataille d’Hochstedt[1], que M. de Contades vient de nous donner[2], pendant qu’on prépare ce dangereux embarquement, va nous mettre tous à la besace. Il faut se nourrir de son blé, se chauffer de son bois, et manger ses poulets, en plaignant le genre humain, qui n’a pas le sens commun. Intérim vale.


3906. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 15 août.

Vraiment, madame, il est bien temps de s’occuper de chevalerie, pendant que M. de Contades, en vrai Angevin, mène à la boucherie tous les descendants de nos anciens chevaliers, et leur fait attaquer quatre-vingts pièces de canon comme don Quichotte attaquait des moulins à vent ! Cette horrible journée perce l’âme. Je suis Français à l’excès, surtout depuis mon beau brevet, dont j’ai l’obligation à vous, mes divins anges, et à MM. de Choiseul. Luc (vous savez qui est Luc) donne probablement bataille aux Autrichiens et aux Russes au moment que j’ai l’honneur de vous écrire : du moins il m’a mandé que c’était sa royale intention. S’il est battu[3], comme cela peut arriver, quelle honte pour nous de l’avoir été par ce prince de Brunswick ! Je voudrais que vous connussiez ce prince ; vous seriez bien étonnée, et vous diriez : Il faut que les gens qu’il bat soient de grands imbéciles. La vérité du fait est que toutes ces troupes-là sont mieux disciplinées que les nôtres. Quiconque ne suivra pas entièrement les maximes du maréchal de Saxe sera infailliblement battu, comme à Rosbach. Voilà ce que j’ai l’impudence de vous dire, en qualité d’historiographe ; et je vous dis encore que je tremble pour votre descente en Angleterre.

Nous allons être réduits à la besace. Heureux qui a des fromages de Parmesan et des terres !

Mon accident n’a pas duré ; il m’a laissé encore des passions

  1. Voltaire a écrit Ocsted.
  2. Bataille de Minden perdue le 1er août 1759.
  3. Il l’avait été le 12 août, à Kunnersdorff. (B.)