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année 1759.

solaire ; mais il faudrait être bien difficile pour exiger qu’on prédît le retour d’une comète à la minute, de même qu’on prédit une éclipse de soleil ou de lune. Il faut se contenter de l’à-peu-près dans ces distances immenses, et dans ces complications de causes qui peuvent accélérer ou retarder le retour d’une comète. D’ailleurs la quantité de la masse de Jupiter et de Saturne peut-elle être connue avec précision ? Cela me paraît impossible. Il me semble que, quand on vous accordera un mois d’échéance pour le retour d’une comète, comme on en accorde pour les lettres de change qui viennent de loin, on ne vous fera pas une grande grâce ; mais quand on avouera que vous faites honneur à la France et à l’esprit humain, on ne vous rendra que justice.

Plût à Dieu que notre ami Moreau-Maupertuis eût cultivé son art comme vous, qu’il eût prédit seulement le retour des comètes, au lieu d’exalter son âme pour prédire l’avenir, de disséquer des cervelles de géants pour connaître la nature de l’âme, d’enduire les gens de poix-résine pour les guérir de toute espèce de maladie, de persécuter Kœnig, et de mourir entre deux capucins !

Au reste, je suis fâché que vous désigniez par le nom de Newtoniens ceux qui ont reconnu la vérité des découvertes de Newton ; c’est comme si on appelait les géomètres Euclidiens. La vérité n’a point de nom de parti ; l’erreur peut admettre des mots de ralliement. On dit molinistes, jansénistes, quiétistes, anabaptistes, pour désigner différentes sortes d’aveugles ; les sectes ont des noms, et la vérité est vérité. Dieu bénisse l’imprimeur qui a mis les altercations de la comète, au lieu d’altérations ! Il a eu plus de raison qu’il ne croyait ; toute vérité produit altercation. Je pourrais bien me plaindre aussi, à mon tour, de ceux qui m’ont appelé mauvais citoyen quand j’ai mis le premier en France le système de l’Anglais Newton au net ; mais j’ai essuyé tant d’injustices d’ailleurs que celle-là m’a échappé dans la foule. Je suis enfin parvenu à ne mesurer que la courbe que mes nouveaux semoirs tracent au bout de leurs rayons. Le résultat est un peu de froment ; mais, quand je me suis tué à Paris pour composer des poèmes épiques, des tragédies et des histoires, je n’ai recueilli que de l’ivraie. La culture des champs est plus douce que celle des lettres ; je trouve plus de bon sens dans mes laboureurs et dans mes vignerons, et surtout plus de bonne foi, que dans les regrattiers de la littérature, qui m’ont fait renoncer à Paris, et qui m’empêchent de le regretter.