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3963. — À MADAME DE FONTAINE,
à hornoy.
5 novembre.

À la fin c’est trop de silence
En si beau sujet de parler.


Ces paroles, ma chère nièce, sont tirées de Malherbe[1], que vous ne connaissez guère, et vont fort bien au sujet. Comment vous trouvez-vous des trois vingtièmes, et de la chute des actions sur les fermes, et de tout ce qui s’ensuit ? Voilà bien le temps d’aimer ses terres et d’encourager l’agriculture : car, en conscience, c’est le seul commerce qui nous reste. Nous faisons pitié à nos alliés et à nos ennemis.

Que vous êtes sage d’avoir achevé votre château ! Mais aurez-vous le courage d’y demeurer ? Il faut que je vous avertisse que celui de Ferney est entièrement bâti et couvert ; et, sans vanité, c’est un morceau d’architecture qui aurait des approbateurs même en Italie. N’allez pas croire que je n’aie sacrifié qu’à l’agréable : j’y ai joint l’utile, et Ferney est devenu une terre de sept à huit mille livres de rente, dans le pays le plus riant de l’Europe. Ajoutez à ces avantages l’agrément unique d’être libre, et de ne payer aucun droit, de quelque nature que ce puisse être. Je veux me bercer de l’idée que vous viendrez un jour nous voir dans toute notre beauté. Il faut que vous veniez reconnaître des domaines qui, selon les droits de la nature, doivent appartenir à votre fils[2]. C’est grand dommage que Ferney ne soit pas en Picardie ; mais une terre libre mérite bien qu’on passe le mont Jura. Je ne suis point mécontent de la masure de Tournay ; j’y ai bâti au moins le plus joli des théâtres, quoique le plus petit[3]. Nous y avons joué trois fois la Chevalerie, pour nous consoler des malheurs de la France. Cette Chevalerie est comme le château de Ferney ; cela ne veut pas dire que l’architecture en soit aussi belle ; cela veut dire seulement que j’ai pris autant de peine pour l’achever.

Après en avoir donné trois représentations, nous avons joué

  1. Ode au duc de Bellegarde, vers 1 et 2.
  2. M. d’Hornoy n’a jamais possédé Ferney ; Mme Denis, peu de temps après la mort de son oncle, vendit cette terre au marquis de Villette, qui la revendit bientôt à un membre de la famille Budée. (Cl.)
  3. On y tenait neuf en demi-cercle, assez à l’aise, dit Voltaire dans sa lettre 3956.