Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/240

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      Qui viennent désoler nos champs.
Le hasard très-souvent décide une bataille.
      Si je lui dois plus d’un beau jour,
      À l’ennemi, par représaille,
      Il m’a fait montrer à mon tour
      Tout le revers de la médaille.
      Cependant cet homme bénit
      Par l’antéchrist siégeant à Rome,
      Ce Fabius, ce plaisant homme,
      Lui qui naguère se munit
      D’une toque, brillant symbole
      De gloire et de vanité folle,
      Commence à décamper de nuit.
      Je ne vous dis pas qu’il nous fuit ;
      Mais si le ciel nous fait la grâce
Qu’il nous montre au plus tôt l’opposé de sa face,
Alors un certain duc, s’illustrant à jamais,
Armé de son trident, comme on nous peint Neptune,
Apaisera d’un mot la tempête importune ;
C’est lui qui sauvera votre empire français,
      Sans capitaine, sans finance.
      Sans Canada, sans prévoyance,
Jusqu’en ses fondements sapé par les Anglais ;
      Il leur dira, plein de décence,
      Par saint George et par sa croyance :
Bonnes gens d’Albion, accordez-nous la paix.
      Quand cette nouvelle échappée
      Sortira des antres secrets
      Des politiques cabinets,
      Je quitte et le casque et l’épée,
      Et, m’envolant soudain d’ici.
      J’irai, confortant ma vieillesse
      Par l’étude de la sagesse,
      M’ensevelir à Sans-Souci.


En attendant, jouissez en paix de votre solitude. Ne troublez plus les cendres de grands hommes. Que la mort mette fin à votre injuste haine, et que Maupertuis trouve au moins un asile dans le tombeau ! Songez que les rois, après s’être longtemps battus, font la paix. Je crois que vous descendriez aux enfers, comme Orphée, non pas pour en ramener l’immortelle Emilie, mais pour persécuter dans ce séjour (supposé qu’il existe) un homme que votre rancune a poursuivi violemment dans ce monde-ci. Immolez cette haine qui vous flétrit et fait tort à votre réputation. Que le plus beau génie de la France soit le plus généreux des hommes. C’est la vertu, c’est le devoir, qui vous parlent par ma bouche ; ne soyez pas insensible à cette voix ; pratiquez les beaux sentiments que vous exprimez en vers avec tant d’élégance et de force. Croyez-moi, un exemple de magnanimité persuade plus que tous les beaux préceptes qu’étale la tragédie. Que le dieu des philosophes vous inspire des sentiments plus doux et plus modérés, et que le dieu de la santé vous conserve pour l’ornement des belles-lettres et du Parnasse !