Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/35

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nouveau charme qui m’attache à elle. Vos pastels, madame, votre plume, vos bontés, vous font des sujets ou plutôt des esclaves dans un pays libre.


Tout me plaît en vous, tout me touche ;
Parlez, belle princesse, écrivez ou peignez ;
Les Grâces, par qui vous régnez,
Ou conduisent vos mains, ou sont sur votre bouche.


J’ai une bien forte tentation, madame, de quitter dans les beaux jours de l’été mes petits ermitages, mes petits châteaux ou chaumières, pour venir me mettre aux pieds de Vos Altesses sérénissimes, dans le palais du meilleur goût que j’aie jamais vu. Je quitterai mes épinards et mon persil pour vos trois mille plantes de l’Asie et de l’Afrique ; mes petits bois pour votre immense forêt[1] de Dodone ; mes lièvres pour vos chevreuils ; enfin ma liberté pour les belles chaînes dont vous enchaînez tous ceux qui ont l’honneur de vous approcher.

J’ai perdu dans Mme  la margrave de Baireuth une princesse qui m’honora toujours d’une bonté inaltérable ; je retrouve en vous, madame, son esprit, ses talents, et ses grâces, et tout cela très-embelli ; je voudrais mériter d’y retrouver la même bienveillance.

Fasse le ciel que le Saint-Empire romain, qui est sens dessus dessous depuis trois ans, puisse être aussi tranquille, l’été prochain, qu’on l’est dans le beau séjour du Repos de Charles[2] ! Le midi de l’Allemagne est bien heureux : il ne se ressent point des horreurs de la guerre, et il vous possède. On attend la mort du roi d’Espagne pour troubler le reste de l’Europe, Milord Maréchal, ou M.  Keith, gouverneur de Neufchâtel, vient de passer par nos Alpes pour aller négocier en Italie ; on dit que ce n’est pas pour la pacification générale. Mais, madame, pourquoi vous parler de nouvelles ? Il est plus doux de s’entretenir de monseigneur le margrave[3] et de vous. Je suis avec le plus profond respect, madame, de Votre Altesse sérénissime, etc.

Elle pardonnera à un pauvre malade qui ne saurait écrire de sa main.

  1. Celle de Hartwald.
  2. Traduction des deux mots allemands dont se compose le nom de Carlsruhe, ville fondée en 1715 par le margrave Charles-Guillaume.
  3. Charles-Frédéric, né en 1728, fils et successeur de Charles-Guillaume.