Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/477

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M. Palissot m’a envoyé sa pièce reliée en maroquin, et m’a comblé d’éloges injustes qui ne sont bons qu’à semer la zizanie entre les frères. Je lui ai répondu qu’à la vérité je croyais faire des vers aussi bien que MM. d’Alembert, Diderot, et Buffon, que je croyais même savoir l’histoire aussi bien que M. d’Aubenton ; mais que, dans tout le reste, je me croyais très-inférieur[1] à tous ces messieurs et à vous. Je lui ai conseillé d’avouer qu’il avait eu tort d’insulter très-mal à propos les plus honnêtes gens du monde. Il ne suivra pas mon conseil, et il mourra dans l’impertinence finale.

Tâchez de vous procurer le Pauvre Diable, le Russe à Paris, l’Èpître d’un frère de la Doctrine chrétienne[2] ; ce sont des ouvrages très-édifiants ; je crois que M. Saurin peut vous les faire tenir. On m’a dit que, dans le Russe à Paris, il y a une note importante qui vous regarde. Les auteurs de tous ces ouvrages ne paraissent pas trop craindre les persécuteurs fanatiques. Il faut savoir oser ; la philosophie mérite bien qu’on ait du courage ; il serait honteux qu’un philosophe n’en eût point, quand les enfants de nos manœuvres vont à la mort pour quatre sous par jour. Nous n’avons que deux jours à vivre ; ce n’est pas la peine de les passer à ramper sous des coquins méprisables. Adieu, mon cher philosophe ; ne comptez pour votre prochain que les gens qui pensent, et regardons le reste des hommes comme les loups, les renards et les cerfs qui habitent nos forêts. Je vous embrasse de tout mon cœur.


4192. — À M. LINANT.
18 juillet.

Il y a longtemps, monsieur, que je vous dois une réponse. Je me suis fort intéressé à Mlle Martin[3] ; mais il y a tant de gens à la foire qui s’appellent Martin, et j’ai reçu tant d’âneries de votre bonne ville de Paris, qu’il faut que vous me pardonniez de ne vous avoir pas répondu plus tôt.

On m’a envoyé les vers du Russe. Ils ne m’ont point paru mauvais pour un homme natif d’Archangel ; mais il me paraît qu’il ne connaît pas encore assez Paris. Il n’a pas dit la centième partie de ce qu’un homme un peu au fait aurait pu dire. D’ailleurs je crois qu’il se trompe sur des choses essentielles ; il appelle

  1. Voyez lettre 4163.
  2. La Vanité ; voyez cette satire, tome X.
  3. Cette demoiselle est nommée dans la lettre 4055.