Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/491

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silence, et après avoir embrassé deux fois leur habile général, ils voulurent apprendre de lui-même les particularités de l’action. Le vaillant Dortidius en fit le récit d’un style sublime, mais inintelligible. On eut recours au petit prestolet, qui fut clair, mais plat. Ses yeux pétillaient d’allégresse. Cependant sa joie était mêlée d’un peu d’amertume : il regrettait qu’on eût mis Wasp à la place de Frelon ; il prétendait que ce dernier nom eût été bien plus plaisant ; il ne concevait pas pourquoi on l’avait supprimé ; il savait que l’auteur de l’Année littéraire lui-même avait demandé qu’on le laissât. LE SÉNAT fut très-satisfait de tout ce qu’il venait d’entendre. Le général lui présenta la liste des guerriers qui s’étaient le plus distingués. Sur la lecture qui en fut faite à haute voix, on ordonna au petit prestolet de l’insérer en entier dans sa première Gazette littéraire, avec de grands éloges pour chaque héros ; ensuite les sénateurs tendirent la main à l’un, sourirent agréablement à l’autre, promirent à celui-ci un exemplaire de leurs œuvres mêlées, à celui-là de le louer dans le premier ouvrage qu’ils feraient, à quelques-uns des places de courtiers dans l’Encyclopédie, à tous des billets pour aller encore à l’Écossaise gratis, en leur recommandant de ne point s’endormir sur leurs lauriers, et de continuer à bien faire leur devoir ; ils leur représentèrent qu’il était à craindre que la vigilance des ennemis ne profitât de leur inaction pour leur dérober le fruit de leur victoire. Après ce discours éloquent et flatteur LE SÉNAT les congédia, et invita à souper le général et les principaux officiers. Avant le banquet on tira un beau feu d’artifice ; il y eut grande chère, un excellent concert de musique italienne, un intermède exécuté par des Bouffons, des illuminations à la façade de tous les hôtels des philosophes. Un bal philosophique, qui dura jusqu’à huit heures du matin, termina la fête. Les sénateurs, en se retirant, ordonnèrent qu’on eût à s’assembler aux Tuileries, sur les six heures du soir, pour chanter un Te Voltarium.


4203. — À M.  DU CLOS.

Je dois vous dire, monsieur, combien je suis touché des sentiments que vous m’avez témoignés dans votre lettre. J’ai jugé que vous souffrez comme moi des outrages faits à la littérature et à la philosophie, en plein théâtre et en pleine Académie. Je crois que la plus noble vengeance qu’on pût prendre de ces ennemis des mœurs et de la raison serait d’admettre dans l’Académie M.  Diderot. Peut-être la chose n’est-elle pas aussi difficile qu’elle le paraît au premier coup d’œil. Je suis persuadé que, si vous en parliez à Mme  de Pompadour, elle se ferait honneur de protéger un homme de mérite persécuté. Il pourrait désarmer les dévots dans ses visites, et encourager les sages. Je m’intéresse à l’Académie comme si j’avais l’honneur d’assister à toutes ses séances. Il me paraît que nous avons besoin d’un homme tel que M.  Diderot,