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4206. — À MADAME D’ÉPINAI.
28 juillet.
à la belle philosophe et à l’aimable habacuc[1].

Non, il n’est point impossible que frère Diderot entre ; et, si cela est impossible, il faut le rendre possible. Mme de Pompadour peut le protéger ; et, si on veut, j’en écris et j’en fais parler à Mme de Pompadour : elle est très-capable de cette belle action. Les dévots crieront ! Frère Diderot peut les apaiser ; tous les gens de lettres seront pour lui. Quoi ! après avoir hasardé la Bastille avec courage, il n’aurait pas le courage d’essayer de confondre ses ennemis et les nôtres ! quelle pusillanimité ! Il faut faire une brigue, une ligue, remuer ciel et terre, vaincre, ou du moins jouir de l’honneur d’avoir combattu. C’est beaucoup, c’est tout d’entrer en lice quand les infâmes, prétendent qu’on n’ose se montrer. Dans presque toutes les entreprises il ne faut que de la hardiesse. Quoi ! de Saint-Foix aura le courage de traduire le Journal chrétien devant le lieutenant-criminel, et l’auteur de l’Encyclopédie n’osera pas demander une place à l’Académie ! Ma belle philosophe, inspirez votre courage aux frères, et que les frères triomphent.

On avait envoyé de Paris la note sur les Remontrances[2] de Lefranc ; on l’a mise comme on la reçue ; on n’a jamais eu ces Remontrances sur les bords du lac.

Lefranc est bien fier d’avoir fait des Remontrances ; mais on lui en fait aujourd’hui : cela le rend peut-être plus fier encore.

Il n’est donc pas vrai qu’on ait envoyé vingt-deux jésuites en paradis, du haut d’une échelle ; mais serait-il vrai qu’un corps considérable eût été battu par les Hessois ; Daun, par Luc ; Bussy par les Anglais, à Pondichéry ? Cela est dur ; mais si les infâmes sont battus, je me console. Mais je ne me console point d’être loin de ma belle philosophe et de mon cher Habacuc. Je la suis en idée dans ses beaux bois, au bord de sa rivière, et mon idée est toujours remplie d’elle.

  1. Grimm, auteur du Petit Prophète de Boehmischbroda. Habacuc est le huitième des Petits prophétes.
  2. C’est sans doute le Mémoire au roi dont il est parlé dans une note, tome XXIV, page 131.