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4245. — À M. BORDES[1].
Aux Délices, 5 septembre.

Jérôme Carré est très-flatté, monsieur, de tout le bien que vous lui dites de M. Freeport[2] et de l’Écossaise. Si vous voulez faire un petit pèlerinage vers le 18 septembre, vous trouverez à Tournay, sur un théâtre de marionnettes, deux ou trois acteurs qui valent bien ceux de Lyon, et surtout une actrice qui ne cède, je crois, à aucune de Paris. Vous verrez si le népotisme m’aveugle. Je ne suis pas si bon père que bon oncle : j’abandonne mes enfants ; mais je soutiens que ma nièce joue la comédie on ne peut pas mieux.

Il faut que vous me fassiez un petit plaisir. Un libraire, nommé Rigolet, a imprimé à Lyon une petite brochure dans laquelle l’auteur se moque également des prêtres de Juda et des prêtres de Baal : c’est toujours bien fait ; plus on rend tous ces gens-là ridicules, plus on mérite du genre humain ; mais l’ouvrage est médiocre, et j’en suis fâché. Ce n’est pas assez de compiler, compiler, et d’écrire, d’écrire[3] en faveur des philosophes ; tous ces ragoûts qu’on présente au public se gâtent en deux jours, s’ils ne sont pas salés. Ce qu’il y a d’assez désagréable, c’est que Rigolet s’est avisé d’intituler sa feuille : Dialogues chrétiens[4], par M. V…, imprimés à Genève.

Le second Dialogue désigne un prêtre de Genève, nommé Vernet, auquel on reproche une demi-douzaine de friponneries. Vous me rendriez un vrai service si vous pouviez savoir de Rigolet d’où il tient ces Dialogues si chrétiens ; j’ai un très-grand intérêt de le savoir. Si Rigolet vous confie son secret, soyez sûr que je ne vous compromettrai pas. S’il ne veut point vous le dire, il le dira peut-être au lieutenant de police, qui est votre ami. Je vous demande en grâce d’employer tout votre savoir-faire, tout votre esprit, toute votre amitié, pour contenter ma louable curiosité.

Je vous embrasse de tout mon cœur ; Mme Denis vous en fait autant.

  1. Voyez tome XXXVIII, page 139.
  2. On prononce Friport. — Ce rôle était très-bien joué à Paris par Préville.
  3. Expression du Pauvre Diable ; voyez tome X.
  4. Voyez tome XXIV, page 129.