Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/92

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ces moments d’alarmes je fais main-basse, si je peux, sur l’ennemi et sur tous les vers qui ne me plaisent pas, hormis les miens.

Adieu, ermite suisse ; ne vous fâchez pas contre don Quichotte, qui jetait au feu les vers de l’Arioste, qui ne valaient pas les vôtres, et ayez quelque indulgence pour un censeur germanique, qui vous écrit des fins fonds de la Silésie,


Fédéric

.


3832. — À MADAME D’ÉPINAI.

Madame, j’ai été toute ma vie en butte à la calomnie. Vous m’accusez publiquement d’avoir mangé du lard ; je vous jure devant Dieu que… que… que vous vous êtes trompée une fois en votre vie. Je suis dans un état pitoyable, sans l’avoir mérité, et affaibli par trois semaines continuelles de perdition de ma chétive substance. Si vous honorez mes pénates de votre présence réelle, amenez avec vous quelque philosophe ou quelque écuyer : car, pour moi, je n’ai ni jambes, ni tête. Il ne me reste pour tout potage que mon derrière, qui fait mon malheur. J’oubliais mon cœur ; il est à vous, madame, puisqu’il bat encore un peu, et c’est avec le plus tendre respect. V.

Permettez-moi de demander des nouvelles de l’inoculable[1], et de faire aussi mille compliments à M.  de Gauffecourf[2] ; nous l’attendons demain.


3833. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Landeshut, 28 avril.

Je vous suis fort obligé de la connaissance que vous m’avez fait faire avec M.  Candide ; c’est Job habillé à la moderne. Il faut le confesser, M.  Pangloss ne saurait prouver ses beaux principes, et le meilleur des mondes possibles est très-méchant et très-malheureux. Voilà la seule espèce de roman que l’on peut lire : celui-ci est instructif, et prouve mieux que des arguments in barbara, celarent, etc.

Je reçois en même temps cette triste ode[3] qui est bien corrigée et très-embellie ; mais ce n’est qu’un monument, et cela ne rend pas ce qu’on a perdu et qui mérite d’être à jamais regretté.

Je souhaite que vous ayez bientôt occasion de travailler pour la paix, et je vous promets que je trouverai admirable tout ouvrage fait à cette

  1. Le jeune d’Epinai.
  2. Voyez tome XXXVIII, page 329.
  3. Un écrivain français eût dit cette ode triste ; mais Frédéric était né en Allemagne. Cl.