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tions avant que Prault mette son édition en vente. Si la pièce réussit, il la vendra beaucoup mieux quand ces deux représentations l’auront fait valoir, et lui auront donné un nouveau prix. Je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous prie de me donner de vos nouvelles et des miennes.


4377. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
16 décembre au soir.

Je reçois le paquet de mes anges à six heures du soir ; je le renvoie à huit. Il partira demain avec mes remerciements, qui doivent être fort longs, et avec ma courte honte d’avoir coûté tant de peines à ceux à qui je ne peux faire beaucoup de plaisir. Vous devez être regoulés de Tancrède ; il n’y a que votre bonté qui vous soutienne. On n’a jamais fait pour un pauvre diable d’auteur ce que vous avez daigné faire pour moi. Je crois enfin cette pièce un peu mieux arrondie que quand je la fis si à la hâte[1] ; je la crois même plus touchante, et c’est là le principal. Avec des vers bien faits, bien compassés, on ne tient rien si le cœur n’est ému.

J’avais bien raison de vouloir revoir l’édition de Prault. Daignez jeter les yeux sur la pièce, et vous verrez que j’ai fait toutes les corrections indispensables. Son édition était ridicule et absurde. Prault aura un peu à remanier, c’est le terme de l’art ; mais c’est une peine et une dépense très-médiocres. Il a très-grand tort de craindre que l’édition des Cramer ne croise la sienne. Les Cramer n’ont point commencé ; ils n’ont point l’ouvrage, et ils ne l’imprimeront que pour les pays étrangers. D’ailleurs j’enverrai incessamment au petit Prault un ouvrage[2] sur les théâtres que je crois assez neuf et assez intéressant. Le zèle de la patrie m’a saisi ; j’ai été indigné d’une brochure anglaise dans laquelle on préfère hautement Shakespeare à Corneille. J’ai voulu venger l’oncle, en ayant chez moi la nièce. J’amuserai d’abord mes anges de ce petit traité, et je supplierai très-instamment que Prault ne sache pas qu’il est de moi, ou du moins qu’il mérite les petits services que je peux lui rendre, en feignant de les ignorer.

Comme je n’ai nul goût à voir mon nom à la tête de mes sot-

  1. En moins d’un mois ; voyez tome V, page 492.
  2. Appel à toutes les nations de l’Europe ; voyez tome XXIV, page 191.