Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/124

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Un entrepreneur des spectacles de la Foire tâche, à Paris, de miner les Comédiens qu’on nomme italiens ; ceux-ci veulent anéantir les Comédiens français par des parodies ; les Comédiens français se défendent comme ils peuvent ; l’Opéra est jaloux d’eux tous ; chaque compositeur a pour ennemis tous les autres compositeurs, et leurs protecteurs, et les maîtresses des protecteurs.

Souvent, pour empêcher une pièce nouvelle de paraître, pour la faire tomber au théâtre, et, si elle réussit, pour la décrier à la lecture, et pour abîmer l’auteur, on emploie plus d’intrigues que les whigs n’en ont tramé contre les torys, les guelfes contre les gibelins, les molinistes contre les jansénistes, les coccéiens contre les voétiens, etc., etc., etc., etc.

Je sais de science certaine qu’on accusa Phèdre d’être janséniste. Comment, disaient les ennemis de l’auteur, sera-t-il permis de débiter à une nation chrétienne ces maximes diaboliques :


Vous aimez. On ne peut vaincre sa destinée ;
Par un charme fatal vous fûtes entraînée.

(Racine, Phédre, acte IV, scène vi.)

N’est-ce pas là évidemment un juste à qui la grâce a manqué ? J’ai entendu tenir ces propos dans mon enfance, non pas une fois, mais trente. On a vu une cabale de canailles[1], et un abbé Desfontaines à la tête de cette cabale, au sortir de Bicêtre, forcer le gouvernement à suspendre les représentations de Mahomet, joué par ordre du gouvernement. Ils avaient pris pour prétexte que, dans cette tragédie de Mahomet, il y avait plusieurs traits contre ce faux prophète qui pouvaient rejaillir sur les convulsionnaires ; ainsi ils eurent l’insolence d’empêcher, pour quelque temps, les représentations d’un ouvrage dédié à un pape, approuvé par un pape.

Si M. . de l’Empyrée[2], auteur de province, est jaloux de quelques autres auteurs, il ne manque pas d’assurer, dans un long Discours public, que messieurs ses rivaux sont tous des ennemis de l’État et de l’Église gallicane. Bientôt Arlequin accusera Polichinelle d’être janséniste, moliniste, calviniste, athée, déiste, collectivement.

Je ne sais quels écrivains subalternes se sont avisés, dit-on, de faire un Journal chrétien, comme si les autres journaux de

  1. Voyez tome IV, page 98.
  2. Lefranc de Pompignan ; voyez tome XXIV. page 462.