Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

donc cet article comme impie, comme épicurien, enfin comme l’ouvrage d’un philosophe.

Il se trouve que l’article, loin d’être d’un philosophe, est d’un docteur en théologie[1], qui établit l’immatérialité, la spiritualité, l’immortalité de l’âme, de toutes ses forces. Il est vrai que ce docteur encyclopédiste ajoutait aux bonnes preuves que les philosophes en ont apportées de très-mauvaises qui sont de lui ; mais enfin la cause est si bonne qu’il ne pouvait l’affaiblir. Il combat le matérialisme tant qu’il peut ; il attaque même le système de Locke ; supposant que ce système peut favoriser le matérialisme, il n’entend pas un mot des opinions de Locke ; cet article enfin est l’ouvrage d’un écolier orthodoxe, dont on peut plaindre l’ignorance, mais dont on doit estimer le zèle et approuver la saine doctrine. Notre convulsionnaire défère donc cet article de l’âme, et probablement sans l’avoir lu. Un magistrat[2], accablé d’affaires sérieuses, et trompé par ce malheureux, le croit sur sa parole ; on demande la suppression du livre, on l’obtient : c’est-à-dire on trompe mille souscripteurs qui ont avancé leur argent, on ruine cinq ou six libraires considérables qui travaillaient sur la foi d’un privilége du roi, on détruit un objet de commerce de trois cent mille écus. Et d’où est venu tout ce grand bruit et cette persécution ? de ce qu’il s’est trouvé un homme ignorant, orgueilleux, et passionné.

Voilà, monsieur, ce qui s’est passé, je ne dis pas aux yeux de l’univers, mais au moins aux yeux de tout Paris. Plusieurs aventures pareilles, que nous voyons assez souvent, nous rendraient les plus méprisables de tous les peuples policés, si d’ailleurs nous n’étions pas assez aimables. Et, dans ces belles querelles, les partis se cantonnent, les factions se heurtent, chaque parti a pour lui un folliculaire[3]. Maître Aliboron, par exemple, est le folliculaire de M. de l’Empyrée ; ce maître Aliboron ne manque pas de décrier tous ses camarades folliculaires, pour mieux débiter ses feuilles. L’un gagne à ce métier cent écus par an, l’autre mille, l’autre deux mille ; ainsi l’on combat pro focis. « Il faut bien que je vive, » disait l’abbé Desfontaines à un ministre[4] d’État ; le ministre eut beau lui dire qu’il n’en voyait pas la nécessité, Desfontaines vécut ; et tant qu’il y aura une pistole à gagner dans

  1. L’abbé Yvon ; voyez tome XXVI, page 128.
  2. Omer Joly de Fleury.
  3. Faiseur de feuilles. (Note de Voltaire.)
  4. Le comte d’Argenson.