Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/128

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gence pour leurs erreurs, plus je suis ferme dans ma foi. Mes ouvrages sont la Henriade, qui peut-être ne déplairait pas au roi qui en est le héros, s’il revenait dans le monde, et qui ne déplaît pas au digne héritier[1] de ce bon roi. J’ai donné quelques tragédies, médiocres à la vérité, mais qui toutes sont morales, et dont quelques-unes sont chrétiennes. J’ai écrit l’Histoire de Louis XIV, dans laquelle j’ai célébré ma nation sans la flatter ; j’ai fait un Essai sur l’histoire générale, dans lequel je n’ai eu d’autre intention que de rendre une exacte justice à toutes les vertus et à tous les vices ; une Histoire de Charles XII, une de Pierre le Grand, fondées toutes les deux sur les monuments les plus authentiques ; ajoutez-y une légère explication des découvertes de Newton, dans un temps[2] où elles étaient très-peu connues en France. Ce sont là, s’il m’en souvient, à peu près tous mes véritables ouvrages, dont le seul mérite consiste dans l’amour de la vérité et de l’humanité.

Presque tout le reste est un recueil de bagatelles que les libraires ont souvent imprimées sans ma participation. On donne tous les jours sous mon nom des choses que je ne connais pas. Je ne réponds de rien. Si Chapelain a composé, dans le siècle passé, le beau poëme de la Pucelle ; si, dans celui-ci, une société de jeunes gens s’amusa, il y a trente ans, à faire une autre Pucelle ; si je fus admis dans cette société ; si j’eus peut-être la complaisance de me prêter à ce badinage, en y insérant les choses honnêtes et pudiques qu’on trouve par-ci par-là dans ce rare ouvrage, dont il ne me souvient plus du tout, je ne réponds en aucune façon d’aucune Pucelle ; je nie d’avance à tout délateur que j’aie jamais vu une Pucelle. On en a imprimé une qui a été faite apparemment à la place Maubert ou aux Halles ; ce sont les aventures et le langage de ce pays-là. Ceux qui ont été assez idiots pour s’imaginer qu’ils pouvaient me nuire, en publiant sous mon nom cette rapsodie, devraient savoir que quand on veut imiter la manière d’un peintre de l’école du Titien et du Corrége il ne faut pas lui attribuer une enseigne de cabaret de village[3].

  1. Voltaire, en parlant ainsi, avait généreusement oublié ou feignait d’oublier que Louis XV, plus que majeur (la majorité des rois était fixée à quatorze ans), avait refusé la dédicace de la Henriade.
  2. En 1728 et 1738 ; voyez, tome XXII, les xive, xve et xvie des Lettres philosophiques ; et les Éléments de la Philosophie de Newton.
  3. Voici des vers de ce prétendu poëme intitulé la Pucelle :

    Chandos, suant et soufflant comme un bœuf,
    Cherche du doigt si l’autre est une fille :