circonspects, pleins de ménagements, comme s’ils avaient leur fortune à faire. Fontenelle, par exemple, n’aurait pas dit son avis, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, sur les feuilles de Fréron. Ceux qui voudront de ces vieillards-là peuvent s’adresser à d’autres qu’à moi.
Eh bien ! madame, ai-je répondu à tous les articles de votre lettre ? Suis-je un homme qui ne lise pas ce qu’on lui écrit ? Suis-je un homme qui écrive à contre-cœur ? et aurez-vous d’autres reproches à me faire que celui de vous ennuyer par mon énorme bavarderie ?
Quand vous voudrez, je vous enverrai un chant[1] de la Pucelle, qu’on a retrouvé dans la bibliothèque d’un savant. Ce chant n’est pas fait, je l’avoue, pour être lu à la cour par l’abbé Grizel ; mais il pourrait édifier des personnes tolérantes.
À propos, madame, si vous vous imaginez que la Pucelle soit une pure plaisanterie, vous avez raison. C’est trop de vingt chants ; mais il y a continuellement du merveilleux, de la poésie, de l’intérêt, de la naïveté surtout. Vingt chants ne suffisent pas. L’Arioste, qui en a quarante-huit, est mon Dieu. Tous les poëmes m’ennuient, hors le sien. Je ne l’aimais pas assez dans ma jeunesse ; je ne savais pas assez l’italien. Le Pentateuque et l’Arioste font aujourd’hui le charme de ma vie. Mais, madame, si jamais je fais un tour à Paris, je vous préférerai au Pentateuque.
Adieu, madame ; il faut jouer avec la vie jusqu’au dernier moment, et jusqu’au dernier moment je vous serai attaché avec le respect le plus tendre.
Reçu une feuille du Censeur hebdomadaire[2], et l’Histoire de la Nièce d’Eschyle[3]. Je voudrais voir de quel poison se sert l’ami Frelon pour noircir le zèle, l’Ode et les soins de M. Le Brun. Comment sait-il que L’Écluse est venu dans notre maison ? et que peut-il dire de ce L’Écluse ? Il finira par s’attirer de méchantes affaires. Vous ne pouvez avoir encore le chant de la Capilotade. Il faut bien constater l’aventure de Grizel avant de le fourrer là.