Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/177

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les seules dont les vers aient une vraie mesure, un rhythme certain, un vrai mélange de dactyles et de spondées, une valeur réelle dans les syllabes. Les ignorants qui formèrent ces deux langues avaient sans doute la tête plus sonnante, l’oreille plus juste, les sens plus délicats que les autres nations.

Vous avez, comme vous le dites, monsieur, des syllabes longues et brèves dans votre belle langue italienne : nous en avons aussi ; mais ni vous, ni nous, ni aucun peuple, n’avons de véritables dactyles et de véritables spondées. Nos vers sont caractérisés par le nombre, et non par la valeur des syllabes. La bella lingua toscana é la figlia primogenita del latino. Mais jouissez de votre droit d’aînesse, et laissez à vos cadettes partager quelque chose de la succession.

J’ai toujours respecté les Italiens comme nos maîtres ; mais vous avouerez que vous avez fait de fort bons disciples. Presque toutes les langues de l’Europe ont des beautés et des défauts qui se compensent. Vous n’avez point les mélodieuses et nobles terminaisons des mots espagnols, qu’un heureux concours de voyelles et de consonnes rend si sonores : Los rios, los hombres, las historias, las costumbres. Il vous manque aussi les diphthongues, qui, dans notre langue, font un effet si harmonieux : Les rois, les empereurs, les exploits, les histoires. Vous nous reprochez nos e muets comme un son triste et sourd qui expire dans notre bouche ; mais c’est précisément dans ces e muets que consiste la grande harmonie de notre prose et de nos vers. Empire, couronne, diadème, flamme, tendresse, victoire ; toutes ces désinences heureuses laissent dans l’oreille un son qui subsiste encore après le mot prononcé, comme un clavecin qui résonne quand les doigts ne frappent plus les touches.

Avouez, monsieur, que la prodigieuse variété de toutes ces désinences peut avoir quelque avantage sur les cinq terminaisons de tous les mots de votre langue. Encore, de ces cinq terminaisons faut-il retrancher la dernière, car vous n’avez que sept ou huit mots qui se terminent en u ; reste donc quatre sons, a, e, i, o, qui finissent tous les mots italiens.

Pensez-vous, de bonne foi, que l’oreille d’un étranger soit bien flattée, quand il lit, pour la première fois,


…e’l Capitano
Che’l gran sepolcro liberò di Cristo ;

et

Molto egli oprò col senno e con la mano ?

(Le Tasse, Jesus. deliv., ch. [illisible]