Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/18

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cher cher de tout ce qui est nouveau, et qui ne voudraient que des expressions triviales ; notre langue n’est déjà que trop stérile.

7° La dernière scène du second acte était aussi nécessaire que cette dernière scène du troisième ; mais comme ce petit monologue du second ne peut être qu’une expression simple de la situation d’Aménaïde, comme ce tableau de son état n’est point un grand combat de passions, il ne faut pas s’attendre à de grands effets de ce monologue, mais seulement à rendre le spectateur satisfait, et à terminer l’acte avec rondeur et élégance, sans refroidir.

Ô ma fille ! vivez, fussiez-vous criminelle[1],


est dit par un acteur glacé, tel que les acteurs français l’ont presque toujours été ; si ce vers n’est pas dans la bouche d’un homme qui ait déjà pleuré ou fait pleurer, il est clair que ce vers doit être mal reçu ; mais moi, en le disant, j’arrache des larmes. J’ai voulu peindre un vieillard faible et malheureux ; c’est la nature. Il y a un préjugé bien ridicule parmi nous autres Francs, c’est que tous les personnages doivent avoir la même noblesse d’âme, qu’ils doivent tous être bien élevés, bien élégants, bien compassés ; la nature n’est pas faite ainsi.

9° Le grand point est de toucher ;

Inventez des ressorts qui puissent m’attacher,

(Boileau, l’Art poet., ch. III v. 26.)


Or Aménaïde est aussi touchante à la lecture qu’au théâtre. Cependant vous savez, mes anges, que M. de Chauvelin avait été mécontent du quatrième acte ; il avait imaginé d’envoyer un ambassadeur de Solamir, et de substituer une entrée et une audience aux sentiments douloureux d’une femme qui a été condamnée à mort par son père, et qui est à la fois méprisée et défendue par son amant. Toutes ces idées que chacun a dans sa tête, de la manière dont on pourrait conduire autrement une pièce nouvelle, ne serviront jamais qu’à refroidir un auteur, à lui ôter tout son enthousiasme. On pourra gagner quelque chose du côté de l’historique, et on perdra tout l’intérêt. Si Corneille avait suivi dans le Cid le plan de l’Académie, le Cid était à la glace.

  1. Ce vers, qui sortait glacé de la bouche de Brizard, n’a pas été conservé dans Tancrède. (Cl.)