Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/249

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extrême. J’ai une querelle avec vous sur les vers croisés. Je trouve qu’ils sauvent l’uniformité de la rime, qu’on peut se passer avec eux de frêres lais, et qu’ils sont harmonieux.


· · · · · Licentia sumpta pudenter

(Hor., de Art. poet.. V. 31.)


n’est pas mal ; mais je vous dirai à l’oreille que c’est un écueil. Il y a dans ce genre de vers un rhythme caché fort difficile à attraper. Si quelqu’un m’imite, il courra des risques. J’aimerais passionnément à m’entretenir avec vous de littérature, et à pleurer sur la nôtre. Mais vous vous moquez de moi avec votre banlieue ; il faudrait que je fusse d’avance imbécile de quitter les deux lieues de pays que je possède, et où je suis indépendant, pour Arcueil et pour Gentilly. Tenez, tenez, voici ma réponse dans ce paquet :


Ad urbem non descendet vates tuus ;

(Hor., lib. I, ep. vii, v. 11.)

Omitte mirari beatæ
Fumum, et opes, strepitumque Paris.

(Hor., III, od. xxix, v. 11.)

Je n’ai eu l’idée du bonheur que depuis que je suis chez moi dans la retraite. Mais quelle retraite ! J’ai quelquefois cinquante personnes à table ; je les laisse avec Mme Denis, qui fait les honneurs, et je m’enferme. J’ai bâti ce qu’en Italie on appelle un palazzo ; mais je n’en aime que mon cabinet de livres, senectutem alunt[1]. Vivez, mon cher abbé ; on n’est point vieux avec de la santé. Je veux, avant de mourir, vous adresser une Épître sur le peu d’usage que font nos littérateurs de vos préceptes et de vos exemples. Quel style que celui d’aujourd’hui ! Ni nombre, ni harmonie, ni grâce, ni décence. Chacun cherche à faire des sauts périlleux. Je laisse les Gilles sur leur corde lâche, et je cultive comme je peux mes champs et ma raison.

M. de Chimène vous remercie : il a du goût ; il étudie beaucoup ; il a lu vos ouvrages ; il aime mieux votre préface sur de Natura deorum, et votre Histoire de la Philosophie, que les tours de force de Jean-Jacques, lequel Jean-Jacques mérite la petite correction qu’il a reçue. Adieu encore une fois.

  1. Cicéron, dans son oraison Pro Archia poeta, cap. vii, dit : « Adolescentiam alunt, senectutem oblectant. »