Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/362

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À la représentation de votre Tancrède, je joindrai la Phèdre de Racine, que j’ai traduite en vers blancs moi-même, n’en déplaise aux mânes du célèbre écrivain.

Les troubles littéraires qui inquiètent en France la république des savants ne seraient point à blâmer s’ils étaient les effets d’une noble émulation ; mais qu’ils seraient honteux si c’était l’envie et la cabale qui les fît naître ! Je n’ose entrer dans cet examen, faute de connaissances ; et quand même celles-ci ne manqueraient pas, il faudrait garder trop de réserve.

À l’égard de la religion, le pays où vous vivez achève votre apologie. La religion y est libre, et vous y pourriez sans masque faire paraître au grand jour votre manière de penser. C’est pourquoi je ne saurais révoquer en doute la vénération que vous protestez hautement à notre saint pontife, et l’entière déférence à son infaillible autorité.

Je me réjouis avec vous des persécutions que forment contre vous, monsieur, vos calomniateurs. Censure, dit très-bien le docteur Swift, is the tax a man pays to the public for being eminent[1]. Il n’y a pas de pays littéraire qui n’ait ses Fréron ; mais il n’y a que la France qui puisse se glorifier d’un Voltaire ; et si vous êtes en butte aux critiques et aux impostures, c’est que votre nom excite l’envie aussi bien que l’admiration.

Il est dommage pourtant que l’art satirique soit devenu le partage de l’ignorance et de la malignité.


On peut à Despréaux pardonner la satire[2], Il joignit l’art de plaire au malheur de médire : Le miel que cette abeille avait tiré des fleurs Pouvait de sa piqûre adoucir les douleurs. Mais pour un lourd frelon méchamment imbécile, Qui vit du mal qu’il fait, et nuit sans être utile, On écrase à plaisir cet insecte orgueilleux, Qui fatigue l’oreille, et qui choque les yeux. </poem>


Quelquefois des zélateurs sincères sont censeurs indirects ; et alors il leur faut dire avec Cicéron : Istos homines sine contumelia dimittamus ; sunt enim boni viri, et quoniam ita ipsi sibi videntur beati. Mais il est fort rare et presque impossible que le zèle sincère produise jamais la médisance.

J’ai lu l’Oracle des nouveaux philosophes, la Lettre du diable, et d’autres pièces détestables, où l’on vomit contre vous mille injures et invectives. J’y entrevois la rage qui les dicte, et point la raison ni la vérité. Ce même acharnement vous donne gain de cause, et rend plus facile la décision entre vous et vos adversaires. Voici ce que dit Leibnitz dans une lettre à la comtesse de Kilmansegg : « Un cordonnier à Leyde, quand on disputait des thèses à l’université, ne manquait jamais de se trouver à la dispute publique. Quelqu’un qui le connaissait lui demandait s’il entendait le latin ? « Non,

  1. « La critique est la taxe qu’un homme paye au public pour être éminent. »
  2. Ces vers sont de Voltaire, troisième Discours sur l’Homme ; voyez tome IX.