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Je vous regrette pourtant, madame, et beaucoup ; Mlle Clairon, un peu ; et la plupart de mes chers concitoyens, point du tout. Je n’ai guère plus de santé que vous ne m’en avez connu ; je vis, et je ne sais comment, et au jour la journée, tout comme les autres.

Je m’imagine que vous prenez la vie en patience, ainsi que moi ; je vous y exhorte de tout mon cœur, car il est si sûr que nous serons très-heureux quand nous ne sentirons plus rien qu’il n’y a point de philosophe qui n’embrasse cette belle idée si consolante et si démontrée. En attendant, madame, vivez le plus heureusement que vous pourrez, jouissez comme vous pourrez, et moquez-vous de tout comme vous voudrez.

Je vous écris rarement, parce que je n’aurais jamais que la même chose à vous mander ; et quand je vous aurai bien répété que la vie est un enfant qu’il faut bercer jusqu’à ce qu’il s’endorme, j’aurai dit tout ce que je sais.

Un bourgmestre de Middelbourg[1], que je ne connais point, m’écrivit, il y a quelque temps, pour me demander en ami s’il y a un dieu ; si, en cas qu’il y en ait un, il se soucie de nous ; si la matière est éternelle ; si elle peut penser ; si l’âme est immortelle ; et me pria de lui faire réponse sitôt la présente reçue.

Je reçois de pareilles lettres tous les huit jours ; je mène une plaisante vie.

Adieu, madame ; je vous aimerai et je vous respecterai jusqu’à ce que je rende mon corps aux quatre éléments.


4617. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
À Ferney, 23[2].

Si j’avais pu, mademoiselle, recevoir votre réponse avant de vous avoir écrit mon Èpître[3] cette épître vaudrait bien mieux : car j’ai oublié cette louange qui vous est due d’avoir appris le costume aux Français. J’ai très-grand tort d’avoir omis cet article dans le nombre de vos talents ; je vous en demande bien pardon, et je vous promets que ce péché d’omission sera réparé. Ménagez votre santé, qui est encore plus précieuse que la perfection de votre art. J’aurais bien voulu que vous eussiez pu passer quelques mois auprès d’Esculape-Tronchin ; je me flatte qu’il vous aurait

  1. Voyez la lettre 4621.
  2. Beuchot date cette lettre du 23 juillet 1765, mais c’est le 23 juillet 1761 qu’elle a dû être écrite.
  3. L’Épître à Daphné.