Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/464

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que nous aimerions bien mieux vous voir que vos ambassadeurs ; mais ma faible santé me retient dans la retraite que j’ai choisie. Je viens de bâtir une église où j’aurai le ridicule de me faire enterrer ; mais j’aime bien mieux le monument que j’érige à Corneille, votre compatriote. Je suis bien aise que l’indifférent Fontenelle m’ait laissé le soin de Pierre et de sa nièce ; l’un et l’autre amusent beaucoup ma vieillesse. Je vous exhorte à lire Pertharite avec attention. Lisez du moins le second acte et quelque chose du troisième. Vous serez tout étonné de trouver le germe entier de la tragédie d’Andromaque[1], les mêmes sentiments, les mêmes situations, les mêmes discours. Vous verrez un Grimoald jouer le rôle de Pyrrhus, avec une Rodelinde dont il a vaincu le mari, qu’on croit mort. Il quitte son Éduige, pour Rodelinde, comme Pyrrhus abandonne son Hermione pour Andromaque. Il menace de tuer le fils de sa Rodelinde, comme Pyrrhus menace Astyanax. Il est violent, et Pyrrhus aussi. Il passe de Rodelinde à Éduige, comme Pyrrhus d’Andromaque à Hermione. Il promet de rendre le trône au petit Rodelinde : Pyrrhus on fait autant, pourvu qu’il soit aimé. Rodelinde dit à Grimoald :


N’imprime point de tache à tant de renommée, etc.

(Acte II, scène v.)


Andromaque dit à Pyrrhus :


Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse,
Et qu’un dessein si beau, si grand, si généreux,
Passe pour le transport d’un esprit amoureux ?

(Acte I, scène iv.)

Ce n’est pas tout ; Éduige a son Oreste. Enfin Racine a tiré tout son or du fumier de Pertharite, et personne ne s’en était douté, pas même Bernard de Fontenelle, qui aurait été bien charmé de donner quelques légers coups de patte à Racine.

Vous voyez, mon cher ami, qu’il y a des choses curieuses jusque dans la garde-robe de Pierre. La comparaison que je pourrai faire de lui et des Anglais ou des Espagnols, qui auront traité les mêmes sujets, sera peut-être agréable. À l’égard des bonnes pièces, je ne fais aucune remarque sur laquelle je ne consulte l’Académie. Je lui ai envoyé toutes mes notes sur le

  1. Voyez la lettre à d’Olivet, du 20 auguste 1760, n° 4645.