Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/521

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instants, hélas ! passés si vite, le diable reprend tous ses droits. Je me prépare à partir pour Breslau[1], et pour y faire mes arrangements sur les héroïques boucheries de l’année prochaine. Priez pour un don Quichotte qui doit guerroyer sans cesse, et qui n’a aucun repos à espérer tant que l’acharnement de ses ennemis le persécutera. Je souhaite à l’auteur d’Alzire et de Mérope cette tranquillité dont me prive ma malheureuse étoile. Vale.


Fédéric.

4735. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
4 novembre[2].

Mon cher Cicéron, je vous remercie de votre anecdote de Théodore de Bèze, et, sans vanité, je sais bon gré à Bèze d’avoir pensé comme moi[3]. Je n’aurais pas soupçonné ce Bèze, ce plat traducteur de David, d’avoir eu de l’oreille. Peu de gens en ont, peu ont du goût, bien peu connaissent le théâtre. Je me suis pressé d’obtenir des instructions de l’Académie ; mais je ne me presserai pas d’en donner au public. Je travaillerai à loisir, et je dirai la vérité avec tout le respect qu’on doit à Corneille, avec toute l’estime que j’ai pour lui ; mais, n’ayant jamais flatté les souverains, je ne flatterai pas même l’auteur que je commente. Les Cramer ne diront leur dernier mot que cet hiver ; il faut que j’achève Pierre le Grand avant d’achever le grand Corneille. Je peux mal employer mon temps ; mais je ne suis pas oisif. Je m’aperçois tous les jours, mon cher maître, que le travail est la vie de l’homme. La société amuse et dissipe ; le travail ramasse les forces de l’âme, et rend heureux. Vivez, vous qui avez utilement travaillé : car vous commencez à entrer dans la vieillesse. Moi, qui suis jeune, et qui n’ai que soixante-huit ans, je dois travailler pour mériter un jour de me reposer. J’ai quelquefois du chagrin de ne vous point voir. Il faut que, dans quelques années, l’un de nous deux fasse le voyage. Venez à Ferney dans dix ans, ou je vais à Paris.


4736. — À M. DE CHENEVIÈRES[4].
Ferney, 4 novembre.

Que je suis honteux, mon cher monsieur ! je vous remercie toujours très-tard de votre prose aimable et de vos jolis vers. On

  1. Frédéric y arriva le 9 décembre.
  2. C’est à tort, croyons-nous, que Beuchot a classé cette lettre à l’année 1762 ; elle est de 1761.
  3. Voyez l’Essai sur les Mœurs, chap. lxxi.
  4. Éditeurs, de Cayrol et François.