Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/525

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pour l’ouvrage entrepris sous vos auspices l’ont emporté sur des devoirs assez pressants qui m’occupent. J’ai remis entre les mains de Votre Excellence une copie de ce que je viens de hasarder, uniquement pour vous, sur ce sujet si terrible et si délicat de la condamnation à mort du czarovitz. J’ai été bien étonné du mémoire qui était joint à votre dernier paquet ; ce mémoire n’est qu’une copie, presque mot pour mot, de ce qu’on trouve dans le prétendu Nestesuranoy[1]. Il semble que ce soit cet Allemand[2] dont j’ai déjà reçu des mémoires qui ait envoyé celui-là. Il doit savoir que ce n’est point ainsi que l’on écrit l’histoire ; qu’on est comptable de la vérité à toute l’Europe ; qu’il faut un ménagement et un art bien difficile pour détruire des préjugés répandus partout ; qu’on n’en croit pas un historien sur sa parole ; qu’on ne peut attaquer de front l’opinion publique qu’avec des monuments authentiques ; que tout ce qui n’aurait même que la sanction d’une cour intéressée à la mémoire de Pierre le Grand serait suspect ; et qu’enfin l’histoire que je compose ne serait qu’un fade panégyrique, qu’une apologie qui révolterait les esprits au lieu de les persuader. Ce n’est pas assez d’écrire et de flatter le pays où l’on est, il faut songer aux hommes de tous les pays. Vous savez mieux que moi, monsieur, tout ce que j’ai l’honneur de vous représenter, et vos sentiments ont sans doute prévenu mes réflexions dans le fond de votre cœur.

J’ai eu, par un heureux hasard, des mémoires de ministres accrédités qui ont suppléé aux matériaux qui me manquaient ; et, sans ce secours, à quoi aurais-je été réduit ? J’ai ramassé dans toute l’Europe des manuscrits, j’ai été plus aidé que je n’osais l’espérer. Je ne cacherai point à Votre Excellence que parmi ces manuscrits, parmi ces lettres de ministres, il y en a de plus atroces que les anecdotes de Lamberti. Je crois réfuter Lamberti assez heureusement, à l’aide des manuscrits qui nous sont favorables, et j’abandonne ceux qui nous sont contraires. Lamberti mérite une très-grande attention par la réputation qu’il a d’être exact, de ne rien hasarder, et de rapporter des pièces originales ; et comme il n’est pas, à beaucoup près, le seul qui ait rapporté les anecdotes affreuses répandues dans toute l’Europe, il me paraît qu’il faut une réfutation complète de ces bruits odieux. J’ai pensé aussi que je ne devais pas trop charger le czarovitz ; que je passerais pour un historien lâchement partial, qui sacri-

  1. Voyez la note, page 508.
  2. Muller.