Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/54

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seil de Candide, et de vous borner à cultiver votre jardin. Il n’est pas donné à tout le monde d’en faire autant. Il faut que le bœuf trace un sillon, que le rossignol chante, que le dauphin nage, et que je fasse la guerre.

Plus je fais ce métier, et plus je me persuade que la fortune y a la plus grande part. Je ne crois pas que je le ferai longtemps ; ma santé baisse à vue d’œil, et je pourrais bien aller bientôt entretenir Virgile de la Henriade et descendre dans ce pays où nos chagrins, nos plaisirs, et nos espérances, ne nous suivent plus ; où votre beau génie et celui d’un goujat sont réduits à la même valeur, où enfin on se retrouve dans l’étal qui précéda la naissance.

Peut-être dans peu vous pourrez vous amuser à faire mon épitaphe. Vous direz que j’aimai les bons vers, et que j’en fis de mauvais ; que je ne fus pas assez stupide pour ne pas estimer vos talents ; enfin vous rendrez de moi le compte que babouc rendit de Paris au génie Ituriel[1].

Voici une grande lettre pour la position où je me trouve. Je la trouve un peu noire, cependant elle partira telle qu’elle est ; elle ne sera point interceptée en chemin, et demeurera dans le profond oubli où je la condamne.

Adieu ; vivez heureux, et dites un petit benedicite en faveur des pauvres philosophes qui sont en purgatoire.


Féderic.


4318. — DE LORD LYTTELTON[2].

Sir, I have received the honour of your letter dated from your castle at Tornex in Burgundy, by which I find I was guilty of an error in calling your

  1. Voyez tome XXI, page 16.
  2. Ainsi que la lettre de Voltaire (voyez n° 4254), la réponse de Lyttelton est sans date. En les plaçant à plus d’un mois d’intervalle, je ne crois pas m’éloigner beaucoup de la vérité. Voici la traduction de la réponse de Lyttelton :

    « Monsieur, j’ai reçu l’honneur de votre lettre datée de votre château de Tournay en Bourgogne, qui m’apprend que j’ai commis une erreur en appelant votre retraite un exil. Lorsqu’on fera une nouvelle édition de mes Dialogues, soit en anglais, soit en français, j’aurai soin de corriger cette faute. J’ai bien du regret de n’en avoir pas été instruit plus tôt ; je l’aurais fait disparaître de la première édition de la traduction française qui vient d’être publiée, sous mes yeux, à Londres. Vous rendre justice est un devoir que je dois à la vérité et à moi-même ; et vous y avez un meilleur titre que les passe-ports que vous me dites avoir procurés à des seigneurs anglais. Vous y avez droit, monsieur, par les sentiments profonds de respect que je vous porte, et qui ne naissent point des privilèges que le roi de France a bien voulu accorder à vos terres, mais des rares talents que vous avez reçus de Dieu même, et du rang élevé que vous tenez dans la république des lettres. Votre souverain s’est honoré en vous accordant des grâces qui ont ajouté peu d’éclat au nom de Voltaire.

    « Je pense entièrement comme vous que Dieu est le père de tous les hommes ; et je croirais blasphémer sa bonté en la restreignant à une seule secte ; je pense même qu’aucun de nous ne peut être bon aux yeux de ce père commun s’il n’est bon et bienveillant pour tous ses semblables. C’est avec plaisir que je trouve ces