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les marches de Mme de Fontaine et de M. d’Hornoy, nous nous flattons d’en être instruits quand elle sera à Paris, en bonne santé. J’ai l’honneur d’être, etc.


4769. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1]
À Ferney, 5 décembre 1761.

Puisqu’il faut vous dire la vérité, monsieur, l’un de vos tonneaux a tourné entièrement ; je garde l’autre, et j’attends le mois de mai pour le boire. J’accepte avec foi et espérance le vin du cru de Mme Le Bault ; il doit être agréable, sans fadeur, fort sans trop de vivacité, bien coloré sans être trop foncé ni trop clair. Il doit plaire à tous les goûts, du moins c’est ce que j’imagine, pour peu qu’il tienne de la propriétaire ; il est vrai que je suis bien pauvre : 1° grâce à la guerre ; 2° grâce à une église que j’ai fait bâtir et pour laquelle on voulait me pendre ; 3° grâce à un théâtre où je joue passablement les vieillards, mais qui est trop beau pour le pays de Gex ; 4° grâce à M. de Brosses, qui me coûte près de soixante mille livres pour un trou à vie que j’afferme douze cents livres. J’avoue qu’après avoir ainsi perdu 60,000 francs, je me suis révolté contre lui pour deux cents francs. Son procédé m’a choqué, parce que j’y ai entrevu trop de mépris pour ma faiblesse. Je veux bien qu’on me ruine, mais je ne veux pas qu’on se moque de moi, et si M. le président de Brosses m’avait donné son amitié pour mon argent, je ne me serais pas tant plaint du marché. Je vous avais fait très-sérieusement, monsieur, juge du procédé et du procès. Il n’a point voulu d’arbitres, et je commence à croire qu’il ne voudra point de juges, et qu’il abandonnera noblement cette importante affaire, où il s’agit du foin que peut manger une poule en un jour.

Vous faites très-bien, monsieur, d’hériter de bons vignobles, et de ne point acheter comme moi, très-chèrement, des terres qui ne donnent que du vin de Brie ; vous faites encore très-bien de tailler en automne, vous en ferez plus tôt vendange. Je présente mes respects à Mme Le Bault en attendant son vin. Je vous supplie de me conserver vos bontés et celles de monsieur le premier président et de monsieur le procureur général, vos coarbitres dans la grande affaire des fagots de Tournay.

J’ai l’honneur d’être sérieusement et avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.
  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — En entier de la main de Voltaire.