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4792. — À MADAME DE CHAMPBONIN.

De Ferney.

Gros chat, je vous ai toujours répondu ; et si vous vous plaignez, ce doit être de mon mauvais style, et non de mon oubli. Il faut que je vous aie écrit dans le goût de La Beaumelle, ou de Fréron, ou de quelque auteur de cette espèce, pour que vous soyez mécontente de moi. J’aimerai toujours gros chat. On croirait, à votre lettre, que Mme la marquise des Ayvelles[1] est rentrée dans sa terre au nom de ses enfants, et que le comte de Contenau en est chassé. Elle est donc de ces meunières qui ont vendu leur son plus cher que leur farine. Mon cher gros chat, je ne me console point de notre séparation et de notre éloignement ; je vous amuserais, si vous étiez ma voisine ; j’ai un des jolis théâtres qui soient en France ; nous y jouons quelquefois des pièces nouvelles ; il nous vient de temps en temps très-bonne compagnie de Paris ; et dans mon château bâti à l’italienne, dans ma terre libre, vivant plus libre que personne, je me moque à mon aise de frère Berthier et des billets de confession, et de toutes les sottises de ce monde. Je ne me tiens pas tout à fait heureux, parce que je ne partage pas mon bonheur avec vous. Je ne peux que vous exhorter à tirer de la vie le meilleur parti que vous pourrez. Je voudrais pouvoir vous envoyer des livres : on ne sait comment faire ; la poste ne veut pas s’en charger. Les formalités sont le poison de la société : il faut passer par cent mains avant d’arriver à sa destination, et puis on n’y arrive point. Il semble que, d’une province à une autre, on soit en pays ennemi : cela serre le cœur.

Voyez-vous quelquefois M. le marquis du Châtelet ? Monsieur son fils m’a écrit de Vienne. Il s’est donné de bonne heure une très-grande considération : cela doit prolonger les jours de monsieur son père. Si vous le voyez, ne m’oubliez pas auprès de lui. Adieu, mon gros chat ! Mes compliments à vos compagnes, dont vous faites le bonheur, et qui contribuent au vôtre.

Je vous embrasse bien tendrement.


  1. Voyez la note, page 131.