Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/75

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tremble pour l’infâme ; elle est perdue dans la bonne compagnie. M.  Deleyre[1] n’est pas encore venu chez les fidèles des Délices ; s’il y vient, il sera reçu comme un initié chez ses frères. Il me paraît que l’infant parmesan sera bien entouré. Il aura un Condillac et un Deleyre ; si, avec cela, il est bigot, il faudra que la grâce soit forte.

Vous n’aurez ni échafaud ni potence à Tancrède, mais vous aurez une grande bière et un drap mortuaire à la Belle Pénitente[2] : ainsi consolez-vous.

Si vous voyez notre diaconesse. Mme  du Deffant, saluez-la pour moi en Belzébuth ; dites-lui que je ne sais plus comment faire pour lui envoyer des infamies. Il devient plus difficile que jamais de confier de gros paquets à la poste. J’aurai l’honneur de lui écrire incessamment. Ce qui me manque le plus dans ma retraite, c’est le loisir. Il faut que je plante, et le czar Pierre me lutine : je ne sais comment m’y prendre avec monsieur son fils ; je ne trouve point qu’un prince mérite la mort pour avoir voyagé de son côté quand son père courait du sien, et pour avoir aimé une fille quand son père avait la gonorrhée.

Luc me mande[3] qu’il est un peu scandalisé que j’aie fait, dit-il, l’histoire des loups et des ours : cependant ils ont été à Berlin des ours très-bien élevés.

Nous attendons demain les détails de la bataille entre Luc et le cunctateur. On dit que Fabius a tué beaucoup de Prussiens, fait trois mille prisonniers, pris trente drapeaux. Il court un bruit que Luc, après sa défaite, a donné le lendemain un second combat, et qu’il a eu l’avantage. Tous ces illustres massacres ne sont pas tirés au clair ; mais le résultat presque infaillible de cette guerre sera que les philosophes perdront un protecteur de la philosophie. Ce protecteur est un peu malin et dangereux, mais enfin c’était un bon appui pour les fidèles. Travaillez, mon cher Paul, à la vigne du Seigneur. Un homme de votre trempe fait plus de bien que cent sots ne font de mal. C’est un grand plaisir de voir croître son petit troupeau. Vous ne serez point mordu des loups, vous êtes aussi sage qu’intrépide. Vous ne vous commettez point, vous ne jetez la semence que dans le bon terrain. Que Dieu répande ses saintes bénédictions sur vous et les

  1. Autour de l’article Fanatisme dans l’Encyclopédie : Voyez tome XIX. page 73 ; et aussi XL, 406.
  2. Caliste, tragédie de Colardeau.
  3. Lettre 4317.