Je vous attends au mois de septembre, mon cher marquis ; vous êtes assez philosophe pour venir partager ma solitude. Ferney est tout juste dans le chemin de Nancy. En attendant, il faut que je vous fasse mon compliment de ce que vous n’êtes point athée. Votre devancier, le marquis de Vauvenargues, ne l’était pas ; et, quoi qu’en disent quelques savants de nos jours, on peut être très-bon philosophe, et croire en Dieu. Les athées n’ont jamais répondu à cette difficulté qu’une horloge prouve un horloger[1] ; et Spinosa lui-même admet une intelligence qui préside à l’univers. Il est du sentiment de Virgile :
Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.
Quand on a les poètes pour soi, on est bien fort. Voyez La Fontaine, quand il parle de l’enfant que fit une religieuse ; il dit :
Si ne s’est-il, après tout, fait lui-même.
Je viens de lire un nouveau livre de l’Existence de Dieu, par un Bullet[2], doyen de l’université de Besançon. Ce doyen est savant, et marche sur les traces des Swammerdam, des Nieuwentyt, et des Derham ; mais c’est un vieux soldat à qui il prend des terreurs paniques. Il est tout épouvanté du grand argument des athées, qu’en jetant d’un cornet les lettres de l’alphabet, le hasard peut amener l’Énéide dans un certain nombre de coups donnés. Pour amener le premier mot arma, il ne faut que vingt-quatre jets ; et, pour amener arma virumque, il n’en faut que cent vingt millions : c’est une bagatelle ; et, dans un nombre innombrable de milliards de siècles, on pourrait à la fin trouver son compte dans un nombre innombrable de hasards : donc dans un nombre