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CORRESPONDANCE

soit ici la fable de la grenouille et du rat emportés par le milan[1]. Adieu, mon cher maître ; votre ancien préfet, l’abbé d’Olivet, est mourant, et ne vit peut-être plus au moment où je vous écris ; il a tout à la fois apoplexie, paralysie, hydrocèle et gangrène. C’était un assez bon académicien, mais un assez mauvais confrère. Au reste, il meurt avec beaucoup de tranquillité et presque en philosophe, quoiqu’il ait fait très-décemment les cérémonies ordinaires. Suivez-le fort tard, mon cher ami, pour vous, pour moi, et pour la raison, qui a grand besoin de vous :

Serus in cœlum redeas, diuque
Lætus intersis populo Quirini.

(Hor., lib. I, od. ii, v. 45.)

Ce souhait vous est mieux appliqué qu’à ce tyran cruel et poltron qu’Horace et Virgile flattaient. Vale iterum, et me ama.

7334. — À M. THIERIOT.
À Ferney, 15 septembre.

Ma foi, mon ami, tout le monde est charlatan ; les écoles, les académies, les compagnies les plus braves, ressemblent à l’apothicaire Arnould, dont les sachets guérissent toute apoplexie dès qu’on les porte au cou, et à M. Le Lièvre, qui vend son baume de vie à force gens qui en meurent.

Les jésuites eurent, il y a quelques années, un procès avec les droguistes de Paris pour je ne sais quel élixir qu’ils vendaient fort cher, après avoir vendu de la grâce suffisante qui ne suffisait point ; tandis que les jansénistes vendaient de la grâce efficace qui n’avait point d’efficacité. Ce monde est une grande foire où chaque Polichinelle cherche à s’attirer la foule ; chacun enchérit sur son voisin.

Il y a un sage dans notre petit pays qui a découvert que les âmes des puces et des moucherons sont immortelles, et que tous les animaux ne sont nés que pour ressusciter. Il y a des gens qui n’ont pas ces hautes espérances ; j’en connais même qui ont peine à croire que les polypes d’eau soient des animaux. Ils ne voient, dans ces petites herbes qui nagent dans des mares infectes, rien autre chose que des herbes qui repoussent, comme toute autre herbe, quand on les a coupées. Ils ne voient point que ces herbes mangent de petits animaux, mais ils voient ces petits animaux entrer dans la substance de l’herbe, et la manger.

  1. La Fontaine, livre IV, fable ii.