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CORRESPONDANCE
7380. — À M. JACOB VERNES,
pasteur à genève[1].

J’ai sondé le terrain, mon cher philosophe, il est encore un peu trop raboteux, mais j’espère l’aplanir.

Vous me félicitez sur la Russie, félicitez-moi donc aussi sur l’Espagne. J’ai eu chez moi pendant trois jours le gendre du premier ministre d’Espagne qui remplit la Sierra Morena de familles protestantes, qui arrache les dents et les ongles à l’Inquisition, qui fait entrer librement tous les bons livres où les hommes peuvent puiser l’horreur pour le fanatisme, et qui enfin a fait faire en un an plus de chemin aux Espagnols que les Français n’en ont fait depuis vingt. Je me flatte cependant que malgré nos détestables cagots je vous apprendrai bientôt de bonnes nouvelles. Ce sera alors qu’on pourra obtenir plus aisément la grâce de Lamande ; mais je ne conçois pas votre conseil magnifique ou mesquin ; c’est à lui de donner la grâce qu’on demande, et non pas à M. le duc de Choiseul, et je ne sais si ce digne ministre est assez content du conseil pour interposer ses bons offices.

Vous n’êtes point charitable, vous ne venez point voir les malades qui vous aiment. Mes compliments aux deux Eusèbes, au prêtre Arius qui faisait des chansons, et même à Nestorius. V.

7381. — À M. LE DUC DE SAINT-MÉGRIN.
À Ferney, le 4 novembre.

Monsieur le duc, le vieux malade solitaire a été pénétré de l’honneur de votre visite et de votre souvenir. Il vous écrit à Paris, comme vous le lui avez ordonné. En quelque lieu que vous soyez, vous y faites du bien, vous acquérez continuellement de nouvelles lumières, et vous fortifiez votre belle âme contre les préjugés de toute espèce. Vous avez voyagé, dans la plus grande jeunesse, dans le même esprit que voyageaient autrefois les vieux sages, pour connaître les hommes et pour leur être utiles : vous vous êtes mis en état de rendre un jour les plus grands services à votre nation ; vous avez parcouru les provinces et les frontières en philosophe et en homme d’État : la raison et la patrie en senti-

  1. Éditeur, H. Beaune. — Communiquée par M. Théodore Vernes, petit-fils du correspondant de Voltaire.