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ANNÉE 1768.

corps à commander à ses pousses ; si ces gens-là vous résistent, je serai bien étonné.

Je ne le suis pas moins que la plupart des princes chrétiens entendent si mal leurs intérêts. Ce serait un beau moment à saisir par l’empereur d’Allemagne ; et pourquoi les Vénitiens ne profiteraient-ils pas du succès de vos armes pour reprendre la Grèce[1], dont je les ai vus en possession dans ma jeunesse ? Mais pour de telles entreprises il faut de l’argent, des flottes, de l’adresse, de la célérité, et tout cela manque quelquefois. Enfin j’espère que vous vous défendrez bien sans le secours de personne.

Je vois, avec autant de plaisir que de surprise, que cette secousse ne trouble point l’âme de ce grand homme qu’on appelle Catherine. Elle daigne m’écrire des lettres charmantes, comme si elle n’avait pas autre chose à faire. Elle cultive les beaux-arts, dont les Ottomans n’ont pas seulement entendu parler, et elle fait marcher ses armées avec le même sang-froid qu’elle s’est fait inoculer. Si elle n’est pas pleinement victorieuse, la Providence aura grand tort. Je veux que vous soyez grand effendi dans Stamboul avant qu’il soit deux ans.

Agréez, monsieur, les sincères assurances du tendre respect que vous a voué pour sa vie, etc.

7487. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 27 février.

Vous avez plus d’une affaire, monseigneur, et moi je n’en ai presque qu’une seule, c’est d’employer mes derniers jours à vous aimer dans ma retraite entourée de neiges. Je ne vous le dis pas souvent ; mais aussi vous ne me répondez jamais. J’avais cru ne pas déplaire tout à fait dans l’Histoire du grand Siècle de Louis XIV. Le libraire a fait bien des fautes ; mais il n’en a point fait sur la bataille de Fontenoy, sur Gênes, sur Port-Mahon. Il me paraît que vous êtes endurci aux éloges, et que vous ne sentez plus rien : cependant on dit que vous êtes encore dans la force de l’âge. Pour moi, qui ai environ trois ans plus que vous, je suis dans la plus pitoyable décrépitude ; et tandis que vous courez lestement de bordeaux à Paris, à Fontainebleau, à Versailles.

  1. Les Vénitiens conquirent la Morée en 1686 et 1687, et il la conservèrent par le traité de Carlowitz en 1699. Ils la perdirent dans la guerre de 1715.