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CORRESPONDANCE.

faire une fin. Je me suis retiré sans pension du roi, dans ma soixante-quinzième année. Je ne compte pas égaler les jours de Moncrif[1] ; mais si j’ai les moyens de plaire[2] à mes deux anges, je me croirai pour le moins aussi heureux que lui. Je me mets à l’ombre de vos ailes, avec une vivacité de sentiments qui n’est pas d’un vieillard.

7245. — À M. PAULET[3].
Ferney, 22 avril.

Je crois, monsieur, que don Quichotte n’avait pas lu plus de livres de chevalerie que j’en ai lu de médecine. Je suis né faible et malade, et je ressemble aux gens qui, ayant d’anciens procès de famille, passent leur vie à feuilleter les jurisconsultes, sans pouvoir finir leurs procès.

Il y a environ soixante-quatorze ans que je soutiens comme je peux mon procès contre la nature. J’ai gagné un grand incident, puisque je suis encore en vie ; mais j’ai perdu tous les autres, ayant toujours vécu dans les souffrances.

De tous les livres que j’ai lus, il n’y en a point qui m’ait plus intéressé que le vôtre. Je vous suis très-obligé de m’avoir fait faire connaissance avec Rhasès. Nous étions de grands ignorants et de misérables barbares, quand ces Arabes se décrassaient. Nous nous sommes formés bien tard en tout genre, mais nous avons regagné le temps perdu ; votre livre surtout en est un bon témoignage. Il m’a beaucoup instruit ; mais j’ai encore quelques petits scrupules sur la patrie de la petite vérole.

J’avais toujours pensé qu’elle était native de l’Arabie déserte, et cousine germaine de la lèpre, qui appartenait de droit au peuple juif, peuple le plus infecté en tout genre qui ait jamais été sur notre malheureux globe.

Si la petite vérole était native d’Égypte, je ne vois pas comment les troupes de Marc-Antoine, d’Auguste, et de ses successeurs, ne l’auraient pas apportée à Rome. Presque tous les Romains eurent des domestiques égyptiens, verna Canopi, ils n’eurent

  1. Moncrif passait pour être beaucoup plus vieux qu’il n’était. Il mourut en 1770, à quatre-vingt-deux ans ; et Voltaire n’est mort qu’à plus de quatre-vingt-quatre ans.
  2. On a de Moncrif Essai sur la nécessité et les moyens de plaire, 1738, in-12.
  3. Jean-Jacques Paulet, médecin, né à Anduze en 1739, mort à Fontainebleau en octobre 1820, a publié une Histoire de la petite vérole, avec les moyens d’en préserver les enfants et de l’anéantir en France, avec la traduction du traité de Rhazès, traduit de l’arabe, 1768, deux volumes in-12.