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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/446

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CORRESPONDANCE.

J’espère beaucoup dans l’équité et dans l’humanité de M. le procureur général. M. le prince de Beauvau lui a écrit, et prend cette affaire fort à cœur ; mais je crois qu’on n’a besoin d’aucune sollicitation dans une cause que vous défendez. Je suis même persuadé que le parlement embrassera avec zèle l’occasion de montrer à l’Europe qu’il ne peut être séduit deux fois par le fanatisme du peuple, et par de malheureuses circonstances qui peuvent tromper les hommes les plus équitables et les plus habiles. J’ai toujours été convaincu qu’il y avait dans l’affaire des Calas de quoi excuser les juges. Les Calas étaient très-innocents, cela est démontré ; mais ils s’étaient contredits. Ils avaient été assez imbéciles pour vouloir sauver d’abord le prétendu honneur de Marc-Antoine leur fils, et pour dire qu’il était mort d’apoplexie, lorsqu’il était évident qu’il s’était défait lui-même. C’est une aventure abominable ; mais enfin on ne peut reprocher aux juges que d’avoir trop cru les apparences. Or il n’y a ici nulle apparence contre Sirven et sa famille. L’alibi est prouvé invinciblement ; cela seul devait arrêter le juge ignorant et barbare qui l’a condamné.

On m’a mandé que le parlement avait déjà nommé d’autres juges pour revoir le procès en première instance. Si cette nouvelle est vraie, je tiens la réparation sûre ; si elle est fausse, je serai affligé. Je voudrais être en état de faire dès à présent le voyage de Toulouse. Je me flatte que les magistrats me verraient avec bonté, et qu’ils me verraient avec d’autant moins mauvais gré d’avoir pris si hautement le parti des Calas, que j’ai toujours marqué dans mes démarches le plus profond respect pour le parlement, et que je n’ai imputé l’horreur de cette catastrophe qu’au fanatisme dont le peuple était enivré. Si les hommes connaissaient le prix de la tolérance ; si les lois romaines, qui sont le fond de votre jurisprudence, étaient mieux suivies, on verrait moins de ces crimes et de ces supplices qui effrayent la nature. C’est le seul esprit d’intolérance qui assassina Henri III et Henri IV, votre premier président Duranty, et l’avocat général Raffis ; c’est lui qui a fait la Saint-Barthélémy ; c’est lui qui a fait expirer Calas sur la roue. Pourquoi ces abominations n’arrivent-elles qu’en France ? pourquoi tant d’assassinats religieux, et tant de lettres de cachet prodiguées par le jésuite Le Tellier ? Sont-ils le partage d’un peuple si renommé pour la danse et pour l’opéra-comique ?

Tant que vous aurez des pénitents blancs, gris et noirs, vous serez exposés à toutes ces horreurs. Il n’y a que la philosophie