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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/501

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année 1769.

J’ai ouï parler d’un jeune homme fort aimable, d’une jolie figure, ayant de l’esprit, des connaissances, un bien honnête, qui, après avoir fait un calcul du bien et du mal, s’est tué à Paris d’un coup de pistolet. Il avait tort, puisqu’il était jeune, et que par conséquent la boîte de Pandore lui appartenait de droit. Un prédicant de Genève, qui n’avait que quarante-cinq ans, vient d’en faire autant : c’était une maladie de famille : son grand-père, son père, et son frère, lui avaient tous donné cet exemple. Cela est unique, et mérite une grande considération. Gardez-vous bien d’en faire jamais autant : car vous courez, vous soupez, vous conversez, et surtout vous pensez. Ainsi, madame, vivez : je vous enverrai bientôt quelque chose d’honnête[1], ainsi qu’à votre grand’maman. Je n’ai guère le temps d’écrire des lettres, car je passe ma vie à tâcher de faire quelque chose qui puisse vous plaire à toutes deux ; j’en ai pour l’hiver.

J’aime passionnément le mari de votre grand’maman[2] ; c’est une belle âme. Croyez-moi, il vaut mieux que tout le reste : il se ruinera ; mais il n’y a pas grand mal, il n’a point d’enfants. Mais surtout qu’il ne haïsse point les philosophes parce qu’il a plus d’esprit qu’eux tous ; c’est une fort mauvaise raison pour haïr les gens.

Je vois qu’on me regarde comme un homme mort : les uns s’emparent de mes sottises ; les autres m’attribuent les leurs. Dieu soit béni !

Comment se porte le président Hénault ? je m’intéresse toujours bien tendrement à lui. Il a vécu quatre-vingt-deux ans ; ce n’est qu’un jour. On aime la vie, mais le néant ne laisse pas d’avoir du bon.

Adieu, madame ; je suis à vous jusqu’au premier moment du néant. Mme Denis vous en dit autant.

7705. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
8 novembre.

J’attends ces jours-ci, monseigneur, les Souvenirs de madame de Caylus. En attendant, j’ai l’honneur de vous envoyer cette nouvelle édition des Guèbres, dont on dit que la préface est cu-

  1. Le Journal de la cour de Louis XIV, avec des notes (voyez tome XXVIII, page 249) ou l’édition des Souvenirs de madame de Caylus (voyez tome XXVIII, page 285).
  2. Le duc de Choiseul.