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ANNÉE 1768.

çois Ier ; la vérité est longtemps cachée ; il faut bien des peines pour la découvrir. Vous ne sauriez croire ce qu’il me coûte de soins pour la chercher à cent lieues dans le Siècle de Louis XIV et de Louis XV. Ce travail est rude. Il y a trois ans qu’il m’occupe et qu’il me tue, sans presque aucune diversion. Enfin il est fini. Jugez, monsieur, si je peux avoir eu le temps de faire toutes les maudites brochures qu’on débite continuellement sous mon nom. Je suis l’homme qui accoucha d’un œuf ; il en avait pondu cent avant la fin de la journée. Les nouvellistes de Paris ne sont pas si scrupuleux en fait d’historiettes que je le suis en fait d’histoire. Ils en débitent souvent sur mon compte, non-seulement de très-extraordinaires, mais de très-dangereuses ; c’est la destinée de quiconque a le malheur d’être un homme public. On souhaite d’être ignoré, mais c’est quand il n’est plus temps. Dès que les trompettes de la Renommée ont corné le nom d’un pauvre homme, adieu son repos pour jamais.

J’ai l’honneur d’être avec la plus sensible reconnaissance pour toutes vos bontés, monsieur, etc.

7275. — À M. DE LA HARPE.
2 juin.

On dit que l’apostat La Bletterie, qui avait fait un livre passable sur le brave apostat Julien, vient de traduire Tacite en ridicule[1]. Si quelqu’un était capable de donner en notre langue faible et traînante la précision et l’énergie de Tacite, c’était M. d’Alembert. Les jansénistes ont la phrase trop longue. Fasse le ciel qu’ils n’aient jamais les bras longs ! ces loups seraient cent fois plus méchants que les renards jésuites. Je les ai vus autrefois se plaindre de la persécution : ils méritent plus d’indignation qu’ils ne s’attiraient de pitié ; et cette pitié qu’on avait de leurs personnes, leurs ouvrages l’inspirent.

7276. — À M. DE MONTAUDOIN[2].
Ferney, 2 juin.

Jusqu’à présent je ne pouvais pas me vanter d’avoir heureusement conduit ma petite barque dans ce monde ; mais, puisque

  1. Voyez l’épigramme, page 31.
  2. De La Touche Montaudoin, négociant à Nantes, était correspondant de l’Académie des sciences de Paris. Il avait donné à l’un de ses bâtiments le nom de