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474 DISSERTATION

On tremblait à cette effrayante exclamation d’Electre à son frère : « Frappe, redouble, si tu le peux’. »

…. Traïaov, sî o6evei ;, ^tir/.YÎv.

Après « uoi Clytemnestre expirante s’écrie : « Encore une fois, hélas ! » n [Aot \j.i\’aùâi ;.

« Qu’Égisthe, poursuit Electre, ne recoit-il le même traitement ! »

Égisthe, qui arrive dans ces terribles circonstances, croyant voir le corps d’Oreste massacré, et découvrant celui de sa femme ; la mort ignominieuse de cet assassin, qui n’a pas même la consolation de mourir volontairement et en homme libre, et à qui l’on annonce qu’il sera privé de la sépulture ; tout cela forme le coup de théâtre le plus frappant et le plus terrible, je ne dis pas pour notre nation, mais pour toute celle des Grecs, qui n’était point amollie par des idées d’une tendresse lâche et efféminée ; pour un peuple qui, d’ailleurs humain, éclairé, poli, autant qu’aucun peuple de la terre, ne cherchait point au théâtre ces sentiments fades et doucereux auxquels nous donnons le nom de galants, et qui par conséquent était plus disposé à recevoir les impressions d’un tragique atroce.

Combien ce peuple ne s’intéressait-il pas à la gloire d’Agamemnon, à son malheur, et à sa vengeance ? 11 entrait dans ces sentiments autant qu’Oreste lui-même. Les Grecs n’ignoraient pas que ce prince était coupable de tuer sa mère ; mais il fallait absolument représenter ce crime. La mort de Clytemnestre était juste, et son fils n’était coupable que par l’ordre formel des dieux, qui le conduisaient pas à pas dans ce crime, par celui des destinées, dont les arrêts étaient irrévocables, qui faisaient des malheureux mortels ce qu’il leur plaisait : Qui nos homines quasi pilas habenl. Ainsi, en condamnant Oreste autant qu’ils le devaient, les Grecs ne condamnaient point Sophocle, et ils le comblaient, au contraire, de louanges. D’ailleurs, tous les poètes tragiques tiennent le langage de la philosophie stoïcienne.

Il me seujble avoir montré les sources de l’admiration que tous les anciens ont eue pour X Electre Aq Sophocle. Le parallèle de cette pièce avec celles d’Euripide et d’Eschyle sur ce sujet, qui sont à la vérité pleines de beautés, ne servira pas peu à démontrer entièrement combien elle leur est supérieure. On verra combien la conduite et l’intrigue de la pièce de Sophocle sont plus belles et plus raisonnables que celles des deux autres.

  • Plusieurs critiques ont douté que la tragédie à’Éleclre, que nous avons

sous le nom d’Euripide, fût de ce grand maître ; on y trouve moins de chaleur et moins de liaison ; et l’on pourrait soupçonner qu’elle est l’ouvrage

1. Cet alinéa ost de 1757, (B.)